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pouvait se réserver, amalgamer ou fondre les minerais réfractaires, et Playa-Blanca se charger des plus avantageux. On évitait ainsi les frais excessifs de l’envoi aux usines européennes. Mais, en ce temps-là, c’est-à-dire il y a cinq ou six ans, la Compagnie de Huanchaca avait à sa tête un directoire de maladroits et d’éhontés spéculateurs. Les uns, aveuglés par les trésors de Pulacayo, les autres flairant un bon coup, tous aussi dénués de prévoyance que de scrupules, résolurent d’élever une formidable usine et appelèrent un ingénieur de l’Amérique du Nord. On engouffra plus de dix millions dans l’entreprise. Bien entendu, ces dix millions ne tombèrent pas intégralement dans les poches de l’ingénieur, des entrepreneurs, des fabricans et des ouvriers. Les sociétaires de Huanchaca en retinrent leur part. Plusieurs s’y enrichirent avec sérénité. Mais une fois que l’usine fut installée, les difficultés commencèrent. Huanchaca ne vit pas sans mauvaise humeur cette succursale qui menaçait de l’éclipser. On continua d’y travailler les minerais riches et on dirigea les plus pauvres sur Playa-Blanca. Cet antagonisme hargneux entre deux établissemens, qui relèvent de la même compagnie et qui devraient être mus par les mêmes intérêts, n’est pas le phénomène le moins curieux, ni le moins rare, hélas ! de ces grandes exploitations américaines. L’administrateur de Playa-Blanca prétend même qu’on lui envoya de vulgaires quartiers de roche ! Puis un jour, la mine de Pulacayo fut envahie par l’eau, cette implacable ennemie du mineur, et sa production fut fatalement ralentie. Playa-Blanca sentit passer un vent de famine. On comprit alors l’imbécillité ou la cupidité, plus révoltante encore, de ceux qui avaient construit ce minotaure d’argent, sans se préoccuper s’ils pourraient l’alimenter longtemps. Aujourd’hui le directoire, renouvelé et présidé par un honnête homme, Vattier, a décidé de faire appel à tous les mineurs de la côte jusqu’au Pérou. Playa-Blanca se détacherait insensiblement de la Compagnie de Huanchaca, et puisque Pulacayo n’est plus en état de lui garantir le lendemain, se créerait une autonomie. Les mineurs péruviens et chiliens lui apporteraient des minerais, comme les cultivateurs apportent leur blé au moulin. Mais d’autres fonderies plus vieilles, plus modestes et non moins sûres, ne craignent point la concurrence et je ne sais trop, ni moi ni personne, quel sera l’avenir de cette gigantesque entreprise.

L’usine de Playa-Blanca se compose de deux usines, la première d’amalgamation, la seconde de fondition. Elles s’étagent, l’une en haut, l’autre en bas, sur le versant des mamelons. A mesure qu’il tombe, le minerai se dépouille de sa gangue. Dès que les wagons du chemin de fer l’ont apporté, il est pris,