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CHILI ET BOLIVIE
NOTES DE VOYAGE

II.[1]
ANTOFOGASTA


I

Quand nous parcourons de nouveaux pays, nous sommes souvent moins préoccupés de les découvrir que d’y trouver les sensations promises. S’ils ne répondent point à nos présomptions, nous sommes tentés de les dénigrer. La nature nous triche. J’ai horreur des reptiles, mais, si je traversais dix lieues de l’Amazone et que le trot de mon cheval n’en débusquât point, je m’estimerais frustré. En me risquant dans ces solitudes, ne savais-je pas les émotions qui m’y poindraient ? N’en avais-je pas escompté l’âpre douceur ? J’ai droit à mon frisson et à ma vipère. Un jour un Anglais, qui explorait la République Argentine, apprit qu’il existait dans la province de Salta une espèce de moustiques plus gros que des sauterelles. Ces insectes géans, dont ni portes ni fenêtres n’arrêtaient l’invasion, dévoraient les voyageurs. Notre Anglais, qui nourrissait un spleen solitaire, y courut. Il descend dans une misérable auberge et demande à l’aubergiste : « Avez-vous des moustiques ? — Très peu, lui répond-on. — C’est

  1. Voyez la Revue du 15 octobre.