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à ces pierres, qu’elles l’ont gardé, lorsqu’elles n’ont plus été que de simples bornes.

Par tous ces attributs, Hermès nous apparaît comme la traduction en langage grec d’une idée sémitique : le dieu sortant de lui-même pour donner naissance à une manifestation distincte de lui, qui devient dieu à son tour. Ces manifestations sont multiples. Hermès n’est pas seul ; à côté de lui nous avons vu Adonis, Asklépios, Héraklès, Iolaüs, et cent autres qui se confondent si bien les uns dans les autres, que parfois on croirait n’avoir affaire qu’à un seul dieu. Il est le dieu aux mille noms. Ce dieu est à la fois tout petit et très grand. Dans l’hymne homérique, à peine né il est doué déjà d’une force miraculeuse ; et d’autre part, ces grands dieux des religions anciennes se trouvent souvent réduits à n’être plus que des êtres secondaires, des nains, des enfans, des servans de la divinité. Tel est le sort qui est arrivé à Ascagne, ce diminutif d’Askoun, l’Hermès phénicien, aux Ca-bires de la Samothrace frères d’Echmoun, et dont le nom Kebirim signifiait « les puissans », enfin aux Camilles, issus du même milieu mythologique. Rien n’est instructif comme le sort advenu à ces Camilles ; ils étaient primitivement l’ange qui se tient devant la face de dieu, Kadm-El, et peu à peu ils en sont venus, à Rome, à n’être plus que de petits servans de l’autel, indifféremment garçons ou filles ; le nom de Camille a gardé cette double acception. Mais les Romains avaient conservé le sentiment de leur origine, et continuaient à les appeler Hermès.

Un dernier trait de ces êtres, émanations fuyantes parfois et mal définies de la divinité, c’est qu’ils sont tantôt dieu, tantôt déesse ; tantôt ils n’ont pas de sexe, ou ils ont un sexe indéterminé. Ils appartiennent à ce que les Kasi-Kumuk appellent le genre ange. Adonis est androgyne ; les Orphiques l’appellent Kourè kai Koros. Comme Attys, Kchmoun. l’Asklépios de Béryte, se mutile. « Hélas ! mon frère, hélas ! ma sœur ! Hélas ! mon seigneur, hélas ! ma seigneurie ! » criaient les femmes qui se lamentaient sur la mort de Thammouz. Hermès et ses symboles ithyphalliques semblent contredire cette théorie, et pourtant là aussi elle trouverait son application. On peut trouver un indice de son double caractère dans une parole de Macrobe qui nous dit que le caducée était formé de deux serpens, mâle et femelle. D’une façon plus générale, les symboles de ces dieux secondaires sont doubles : deux cippes sacrés, deux caducées ; ils vont toujours par paire ; comme le dieu qu’ils représentent, ils sont mâle et femelle. Les inscriptions phéniciennes nous ont révélé toute une série de noms divins complexes, formés de deux divinités accouplées, dans lesquels Echmoun occupe une place capitale : Astar-Kamos,