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un de ces « camps de dieu », Makhané-Dan chez les Hébreux, Machanê-Tsor, à Memphis, qui sont une des formes des apparitions divines chez les peuples sémitiques.

Pour Eryx, en tous cas, le doute n’est plus permis, et son origine phénicienne nous est attestée par une inscription formelle. Comme tous les vocables étrangers, le nom d’Eryx nous est parvenu sous des formes différentes, appliqué à des divinités différentes aussi. A Psophis, en Arcadie, Aphrodite était adorée sous le nom d’Erycine, tandis que, pour Lycophron et Tite-Live, Hercyna est une épithète de Déméter. Les Grecs ont dédoublé la déesse et ont tiré de son épithète, par leur procédé habituel, une divinité secondaire. Hercyna est une jeune fille qui, tenant une oie, jouait avec Proserpine. L’oie s’enfuit dans une grotte et se réfugia sous une pierre ; Proserpine souleva la pierre, et aussitôt en jaillit le fleuve Hercyna. Au bord du fleuve est le temple d’Hercyna, avec une jeune fille tenant une oie, et dans la caverne on voit deux autres statues, tenant en main deux caducées : c’est Trophonios et Hercyna ; tout auprès, un bois sacré abrite le sanctuaire de Déméter et de Zeus.

Pour trouver la clef de cette légende si phénicienne dans sa donnée : la déesse à l’oiseau, la pierre sacrée, le double caducée, il faut aller en Sicile. Là se trouvait le mont Eryx, célèbre par le temple de Vénus Erycine, dont Cicéron, dans ses Verrines, a décrit le culte tout oriental et les débauches sacrées. Sur son emplacement, on a découvert jadis une inscription phénicienne qui, après avoir prêté longtemps à toutes les insanités, nous a livré son secret : c’est une dédicace à Astoret Erek-hayim, « Astarté qui prolonge la vie ». Et, comme pour confirmer la lecture d’Ernest Renan, presque au même moment, une autre inscription en Sardaigne nous a livré le nom de la déesse écrit d’une façon plus concise : Astoret-Erek. Erycine ou Hercyna est donc un vocable phénicien, c’est la déesse de longue vie, et, par une nouvelle transformation, elle est devenue en Attique la vierge Erigone, transportée par la faveur de Zeus au ciel, où elle est adorée comme la vierge céleste.

Il faut nous arrêter, pour finir cette énumération, à l’un des sanctuaires les plus illustres de la Grèce, l’un de ceux qui paraissent devoir le moins prêter à une étymologie étrangère, Delphes, le centre du culte d’Apollon. Là, nous n’avons pas d’inscriptions pour nous éclairer, mais toute une série de rapprochemens qui tous convergent vers un même point. La tradition grecque rattachait la fondation de Delphes et son nom même à des influences orientales. Le héros éponyme de Delphes, Delphos, était fils de Poséidon et de Melaina, la Déméter phénicienne d’Arcadie. C’est