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difïérenciées et il en a tiré les déesses dont il a peuplé son Olympe, en cherchant à expliquer leur parenté par une série de mythes ingénieux ; mais en même temps le souvenir de la triple déesse s’est perpétué dans une série de triades secondaires : les trois Grâces, qui furent adorées d’abord sous la forme de trois pierres tombées du ciel ; les trois Gorgones, les trois Euménides, les trois Sirènes, qui reproduisent sous une forme réduite les trois aspects de la grande déesse.

De ces déesses, les unes ont conservé leur ancien nom, comme Aphrodite, Amphitrite, comme les Sirènes, où l’on reconnaît le mot hébreu Sir, « chant », les Néréides, dont le nom paraît bien venir du mot Nahar, « fleuve » ; d’autres les ont vus traduits ou transfigurés de telle façon qu’ils sont devenus méconnaissables. Une chose n’a pas changé, ce sont les anciens vocables sous lesquels elles étaient adorées et qui nous permettent de suivre le long des côtes de la Méditerranée l’expansion de ces anciens cultes importés par les Phéniciens en Grèce.

On éprouve quelque hésitation à enlever aux Grecs des lieux illustrés par leur histoire, et pourtant il est un grand nombre de villes grecques dont les noms ont perpétué le souvenir des divinités protectrices de leurs fondateurs phéniciens. Je ne parle pas des noms tels que Gortys, Crotone et tant d’autres, qui paraissent bien n’être, malgré tout, que des altérations du mot Qart, « ville » en phénicien, ni même de tous les Mégare qui désignaient les sanctuaires souterrains de la divinité, mais de toute une catégorie de noms de villes qui sont formés des noms mêmes des divinités qui y étaient adorées, des innombrables dérivés de Marathon, qui paraissent tous se rattacher au vocable Marath, « la Grande-Dame » ; Marathus, en Phénicie ; Marathesion, près d’Ephèse ; Marathonymon, en Bithynie ; en Grèce, Marathon et son taureau tué par Héraklès ; et puis de tous les noms de la famille de Karné, qui nous rappellent Astaroth Karnaïm, la déesse au croissant lunaire, Astarté aux Cornes de Vache.

M. Bérard rattache à une origine analogue ce vocable si obscur qui a donné, en Arcadie, Aphrodite et Athéna Makhanîtis, et, à Argos, Zeus Mékhaneus, le conjoint de la déesse guerrière Athéna Soteira. Est-ce de ce vocable divin que sont venus le nom de Mycènes et tous les Mékonion, Migonium, disséminés depuis l’Argolide jusqu’en Afrique et en Italie ? M. Bérard croit pouvoir l’établir. Quoi qu’il en soit, il semble bien qu’il ait raison d’expliquer le vocable Makhanîtis par le mot phénicien Makhanat, « camp », qui figure à côté de la tête d’Amphitrite sur les monnaies de Carthage. Athéna Makhanîtis, c’est la « Vénus castrensis » des Carthaginois, de même que les « Castra Minervæ » sont