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et que nous mangeons encore aujourd’hui, sans nous douter de leur signification primitive. Le Zeus Hypatos de l’Attique, ce « Zeus suprême », qui était adoré sur le mont Hypatos, aux confins de la Béotie et de l’Attique, auquel on offrait, en place de victimes humaines, des gâteaux sacrés et dont les Grecs savaient encore la parenté d’origine avec le Zeus Lykaios, se rattache par un lien direct au dieu suprême de Thèbes, à ce Zeus Hypsistos, introduit par Cadmus en Béotie. Par leur culte, par les rites qui l’accompagnaient et par leur nature même, ces dieux, si étroitement apparentés, qui formaient le fond de l’ancienne mythologie grecque, nous apparaissent comme des dieux sémitiques. La tradition grecque avait conservé le souvenir de leur origine, et l’étymologie, incertaine et vacillante quand elle est seule, vient confirmer les inductions positives que nous pouvons tirer de leur caractère.

Zeus Keraunos, Zeus Meilichios, Zeus Lykaios, Zeus Hypatos, Zeus Hypsistos, tous ces noms, si sémitiques par leur formation même, nous permettent de jeter un coup d’œil sur la manière dont les Grecs ont traduit les noms des dieux de ces Orientaux qui ont été de tout temps les instituteurs religieux de l’humanité. Ils ont pris Zeus, le roi de l’Olympe, pour rendre le nom de Baal, qui était devenu, chez les peuples de la côte de Syrie, synonyme de dieu, et ils lui ont donné comme surnoms, tantôt les traduisant, tantôt se bornant à les transcrire, les vocables qui servaient à designer les formes différentes de ce dieu un et multiple, et qui étaient en réalité autant de noms propres divins. La forme seule est grecque, son contenu, — les anciens le savaient déjà, — est une importation de l’Orient.


II

Si les Grecs ont emprunté aux Phéniciens plusieurs des traits de leur Zeus, ils devaient leur prendre à plus forte raison leurs déesses et ces dieux secondaires qui occupent une place d’autant plus considérable dans l’adoration des fidèles, qu’ils sont plus jeunes et plus vivans et paraissent plus rapprochés de l’homme. Les déesses sont reines partout où elles paraissent, et elles s’emparent du pouvoir que la femme a toujours exercé par la force de la puissance mystérieuse qui attache l’homme à ses pas.

Les déesses de la Grèce antique présentent au plus haut degré ce caractère de complication apparente reposant sur une donnée religieuse très simple, qui est le trait propre des cultes de la côte de Syrie. Comme Zeus, et plus que lui, elles sont une et multiple. Les traits d’Aphrodite et de Déméter se confondent, à