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jusqu’à Elieus, le père d’Augias, qui ne nous rappelle cet autre Elieus, dieu souverain de Thèbes. Les anciens eux-mêmes avaient le sentiment du peu de solidité des étymologies grecques, et Pausanias nous dit que les Grecs ont joué sur les mots quand ils ont fait de cet Elieus ; par une légère modification, Hélios, le Soleil.

L’Alphée et l’Eurotas nous font remonter jusqu’au plateau central de l’Arcadie, d’où ils sortent pour arroser, l’un l’Elide, l’autre la Laconie. On ne s’attendrait pas, à première vue, avoir les Phéniciens pénétrer si avant dans l’intérieur des terres ; mais ceux qui ont longé les côtes du Péloponèse savent quelle terreur inspire encore aujourd’hui aux marins la masse formidable du cap Matapan, qui s’avance en pleine mer comme une paroi gigantesque, sans aucun abri contre les tempêtes qui assaillent les navires. Les Phéniciens devaient chercher à l’éviter, attirés d’ailleurs vers ces hauts sommets qu’on découvre de la pleine mer par une crainte superstitieuse ; et le culte y a conservé d’autant mieux son caractère oriental qu’ils étaient moins accessibles à la civilisation facile et au syncrétisme religieux des villes de la côte. C’est là que M. Victor Bérard a établi son quartier général, guidé par une inscription grecque dédiée à un Zeus Keraunos, « Jupiter foudre », dans lequel M. Foucart, le premier, n’avait pas hésité à reconnaître une divinité sémitique, et il s’est attaqué, non plus seulement à quelques divinités plus ou moins secondaires, mais à Zeus, au plus grec de tous les dieux, et à l’une des formes les plus vénérées de ce dieu, au Zeus Lykaios. Cela mérite qu’on s’y arrête.

Le mont Lycée a de tout temps été considéré par les Arcadiens comme leur montagne sacrée. Perdu au milieu d’un chaos de montagnes, dans la partie la plus sauvage de l’Arcadie, celle qui domine l’Elide, il inspirait une sorte de terreur religieuse. Tous les poètes grecs et latins, depuis Hésiode jusqu’à Ovide, ont chanté l’histoire de Lycaon, fils de Pelasgos. Zeus se rend un soir chez le tyran qui égorge son propre fils, et pose les chairs sur la table du dieu. Le dieu, irrité, met le feu à la maison de l’impie et le change lui-même en un loup. Ce sacrifice humain, le dieu qui y met le feu avant de disparaître, comme l’ange de Jéhovah lorsqu’il apparaît à Manoah pour lui annoncer la naissance de Samson, ce dieu qui porte le nom de la montagne, qui n’est pas le dieu du Lycée mais le dieu Lycée, comme le Zeus Carmel, le Zeus Casios et le Baal-Liban, nous transportent bien loin de la Grèce. Ici, c’est la conception même du temple et du culte, c’est-à-dire la manière d’adorer la divinité, ce qu’il y a de plus permanent dans la religion, qui est sémitique.

Le culte, chez les peuples sémitiques, peut toujours se