Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/386

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’anciennes combinaisons religieuses dont les Grecs du temps de Périclès avaient perdu le sens. Ce n’est pas à Athènes qu’il faut chercher les origines de la mythologie grecque ; c’est à Thèbes, à Delphes, à Mantinée, sur les bords du lac Copaïs et sur les pentes du mont Lycée, dans tous les vieux sanctuaires de la Béotie et de l’Arcadie ; c’est là que le culte de Pallas comme celui de Déméter et beaucoup d’autres avec eux ont pris naissance pour se répandre ensuite sur toute la Grèce. Ces vieux sanctuaires en plein air avec leurs enceintes sacrées, leurs rites barbares, leurs bétyles et leurs divinités multiples et complexes, dont plusieurs ont continué d’êtres adorées sous des vocables sémitiques, contrastent singulièrement avec l’idée que nous sommes habitués à nous faire des cultes helléniques et nous apparaissent comme les témoins d’une autre religion, et ils viennent confirmer les récits longtemps méconnus des auteurs anciens sur les origines phéniciennes de quelques-uns des dieux les plus célèbres de la Grèce.

La Grèce a personnifié ses attaches avec le monde oriental on Cadmus, ce roi ou ce marchand phénicien, fils d’Agénor et de l’éléphassa, suivant les uns, de Tyro, suivant les autres, qui fut l’époux d’Harmonia et le père de Sémélé. On a cherché de divers côtés au nom de Cadmus une étymologie grecque ; mais ces étymologies n’ont pas plus de valeur que celles que les Grecs eux-mêmes fabriquaient pour expliquer les noms des dieux qu’ils ont reçus de l’étranger. Les Grecs ont donné à leurs étymologies un air de vraisemblance par les altérations qu’ils ont fait subir à ces noms, pour les plier aux exigences de leur langue, et ils ont greffé sur elles des mythes gracieux qui les ont popularisées ; mais au fond elles sont de même ordre que celles dont abonde l’ancienne littérature du peuple juif. Le nom de Cadmus est un nom sémitique ; de quelque façon qu’on l’explique, il est hors de doute qu’il se rattache à la racine Kedem, « Orient ». C’est Cadmus qui a donné aux Grecs l’alphabet, qu’ils ont appelé de son nom les « caractères cadméens », ou les phoinikeia, les « caractères phéniciens ». Ses rapports avec l’ancienne civilisation thébaine sont établis par l’accord unanime des auteurs grecs. Il est le fondateur de Thèbes, dont la citadelle a porté, jusqu’aux derniers temps de l’indépendance, le nom de Cadmée. Le dieu souverain de Thèbes lui-même, Elieus, est l’équivalent exact d’Elioun, le grand dieu phénicien que Sanchoniathon traduit par Hypsistos.

L’influence des Phéniciens ne s’est pas fait sentir en Béotie seulement. Partout où ils trouvaient une anse sûre, ces hardis marchands établissaient un comptoir. Deux choses le composaient : en haut, sur le rocher, un temple qui leur servait de phare et annonçait les plaisirs de la terre aux matelots pressés d’y