Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/383

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LES ORIGINES ORIENTALES
DE LA MYTHOLOGIE GRECQUE

Qui n’a présent à l’esprit le mythe d’Aphrodite Astarté naissant, sur les côtes de la Grèce, de l’écume de la mer, et qui ne serait tenté de crier au sacrilège si l’on venait à lui dire que la déesse chantée par Homère et par tous les poètes de la Grèce est arrivée dans l’île de Chypre sur les bateaux des marchands phéniciens, et qu’elle a été adorée sous la forme d’une pierre noire avant de revêtir les traits de cette beauté idéale qui l’entoure de l’auréole d’une éternelle jeunesse ? Et pourtant ce mythe, dans lequel s’est incarné le caractère créateur et spontané du génie grec, n’avait pas, à l’origine, la signification que nous sommes habitués à y mettre. Les anciens le savaient bien, et, quand ils représentaient leur déesse sortant des flots, portée sur une conque marine qu’entourait une armée de dauphins, d’amours et de tritons, ils voulaient exprimer par là qu’elle était venue de par-delà les mers et que son culte avait été importé d’Orient en Grèce. Non, la blonde Astarté, ou de quelque autre nom qu’on la nomme, n’a pas été créée tout d’une pièce par le génie de la Grèce, pas plus que Minerve n’est sortie tout armée du cerveau de Jupiter. Nous avons fabriqué une mythologie classique de convention, et ce panthéon immuable des douze grands dieux de l’Olympe, qui aurait passé tout d’une pièce des Grecs aux Romains, n’est qu’une invention du XVIIe siècle, jaloux de mettre en toutes choses celle belle uniformité qu’il avait fait triompher dans l’État, comme dans la langue et dans la poésie.

Ce sera l’honneur de l’archéologie au XIXe siècle d’avoir brisé ces cadres artificiels et d’avoir saisi les véritables liens des choses et leurs ramifications. Il n’existe pas, dans le domaine de la mythologie et de l’art, plus que dans celui de l’histoire naturelle, de