y a une chose plus précieuse encore que la vérité : c’est la sympathie profonde pour la vérité… La littérature-force restaure et rafraîchit continuellement l’idéal de celles de nos qualités qui sont les plus précieuses à la face du ciel. Que vous apprend le Paradis perdu ? Rien du tout. Un livre de cuisine ? Quelque chose à chaque ligne. Placerez-vous pour cela ce misérable livre de cuisine au-dessus du divin poème ? Ce que vous devez à Milton n’est pas du savoir, que vous pourriez ensuite multiplier un million de fois sans vous élever d’un échelon au-dessus de la terre. Vous lui devez de la force, c’est-à-dire l’exercice et l’expansion des capacités de sympathie avec l’infini qui sont latentes en vous. Chaque influx de cette force vous soulève au-dessus de la terre. Dès le premier pas, c’est un mouvement ascensionnel[1]. »
Nous possédons en France un exemple de littérature-force que Quincey n’aurait pas admis, parce qu’il n’avait songé qu’aux poètes en formulant sa théorie, et qui n’en est pas moins typique. Les ouvrages de Jean-Jacques Rousseau ont bouleversé le monde. Ils l’agitent encore : « La révolution française ne fait que commencer, » écrivait Quincey en 1845, et nous pourrions presque en dire autant en 1896.
La littérature-savoir, poursuivait-il, a constamment besoin d’être renouvelée ; c’est un des signes de son infériorité. La littérature-force est éternelle, tout en ayant éprouvé une espèce de brisure, aussi nette que profonde, lors de l’introduction dans le monde de l’idée chrétienne du péché. Les païens ne savaient pas ce que c’est que « pécher » ; dans le sens où nous prenons le mot depuis tantôt dix-neuf siècles. Ils connaissaient « le vice » et « la vertu », opposaient « le coupable » à « l’innocent », mais tous ces mots leur représentaient des idées différentes des nôtres, puisqu’ils n’attachaient pas aux préceptes de la morale le caractère de « sainteté » qu’un chrétien attache aux dix commandemens et qui donne une saveur de sacrilège à chaque violation de la loi. Leur psychologie et leurs motifs d’action en étaient tout autres, et cela se voit de reste dans leur théâtre. On pourrait presque ramener à une seule les différences qui séparent une tragédie grecque d’une tragédie moderne. L’une est d’avant l’idée de péché, l’autre d’après ; il a suffi d’une idée pour couper en deux le monde moral et littéraire[2].
Quincey était encore sur les bancs, qu’il pensait déjà ces choses. Il les avait eues présentes à l’esprit et s’était abandonné à