Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/345

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à des chiffres qui n’avaient jamais été atteints, même à l’époque de la découverte des gisemens californiens et australiens, qui amenèrent pourtant des hommes comme Michel Chevalier à demander la démonétisation de l’or ; mais l’or une fois produit se conserve bien mieux, parce qu’il circule beaucoup moins. Il a une tendance constante à s’accumuler dans les caves des grandes banques d’émission, où il échappe aux chances de perte et d’usure par le frai ; des pièces et des lingots ainsi enfermés gagent les billets ou les simples viremens qui les représentent et servent à régler les transactions. Déjà les expéditions d’espèces à l’intérieur d’un pays comme la France deviennent une rareté. Entre Paris et Lyon, entre Marseille et Bordeaux, les dettes s’éteignent et les créances s’encaissent par des transferts de banque, en particulier de la Banque de France. Il n’en va pas encore ainsi pour tous les règlemens internationaux. Les lingots et les monnaies d’or circulent d’un pays et d’un continent à l’autre. Ces expéditions ont joué un grand rôle dans les relations financières et commerciales des Etats-Unis avec l’Europe. Depuis un quart de siècle, depuis notamment que les blés américains ont pris une place considérable dans l’approvisionnement du Vieux Monde, les banquiers ont eu les yeux fixés sur les mouvemens du numéraire entre New-York d’une part, Liverpool et le Havre de l’autre. Il y a une quinzaine d’années, quand notre récolte de céréales était médiocre, nous entrevoyions avec terreur les saignées que l’automne devait apporter à l’encaisse de la Banque de France, quand il nous faudrait payer les blés importés. Depuis lors, le stock d’or des grands instituts d’émission a augmenté dans des proportions telles que la perspective d’un retrait de quelques centaines de millions de francs, à prélever sur les dix milliards qui reposent dans les capitales européennes, n’inspire plus les mêmes craintes. Au contraire, les exportations d’or de New-York ont à un moment ému la place de Londres, en produisant une baisse des fonds américains, en particulier des titres de chemins de fer dont une grande quantité se trouve dans les portefeuilles anglais. Par un effet très curieux, qui indique l’étroite solidarité qui unit les marchés financiers les uns aux autres, l’Europe redoutait cet été de voir arriver dans ses banques l’or qu’elle convoitait jadis si ardemment et dont l’exode l’inquiétait au plus haut degré. C’est qu’elle commence à sentir qu’elle en possède assez, et que le contrecoup d’une crise américaine lui ferait beaucoup plus de mal que des centaines de millions d’or ne peuvent lui faire de bien. Lorsque à la fin d’août 1896 des expéditions d’or de France à New-York se sont produites, elles ont été saluées avec satisfaction : peu s’en est fallu qu’on ne votât des remerciemens à la maison de banque