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VI

L’étalon d’or marque l’étape contemporaine du développement économique de l’humanité. Combien de temps s’y arrêtera-t-elle ? Combien de temps les hôtels de monnaies du monde resteront-ils ouverts à la libre frappe de l’or ? Si plaisante que puisse paraître aujourd’hui cette préoccupation, il est permis de la concevoir à celui qui cherche à jeter quelque clarté sur l’avenir des peuples et à deviner la route où ils chemineront demain. Il lui est loisible d’envisager dès aujourd’hui l’époque où l’or subira, lui aussi, la loi des destinées. L’airain a fait place au cuivre, le cuivre à l’argent : ce dernier est déjà déchu dans une partie du monde de sa force libératoire ; le roi de la terre, comme l’écrivait il y a quelques années un illustre économiste allemand, est détrôné. Notre génération a vu le jour à une époque où les craintes de dépréciation de l’un des deux métaux ne s’appliquaient pas à l’argent ; son attention n’a pas été suffisamment arrêtée sur les évolutions historiques qui auraient pu la préparer à comprendre la transformation dont elle est le témoin et en partie l’acteur inconscient ; elle vit enfin à une époque où les événemens se précipitent avec une rapidité dont rien dans les siècles passés ne peut donner une idée. De même que le globe n’est plus, sous beaucoup de rapports, qu’une seule contrée, parcourue en tous sens par plus d’hommes durant leur vie qu’il n’y avait au siècle dernier de Parisiens ayant visité Marseille, de même la facilité extrême des communications semble avoir imprimé une allure vertigineuse aussi bien à l’existence des nations qu’à celle des individus. Il a fallu des siècles pour amener la démonétisation successive de métaux qui furent, eux aussi, des métaux précieux, c’est-à-dire monétaires, tels que le fer à Sparte, le cuivre en Égypte et dans les premiers temps de Rome. Peu d’années ont suffi de nos jours pour enlever à l’argent un caractère qui ne lui avait été contesté dans aucune des civilisations dont la nôtre est sortie et qu’il avait conservé durant dix-huit siècles de l’ère chrétienne. Ces substitutions, à travers les âges, d’un étalon à l’autre ne nous frappaient pas, parce qu’elles s’étaient opérées lentement et surtout parce que les études historiques n’avaient pas jusqu’ici mis en relief leur caractère et leurs conséquences. Nous voici réveillés de notre indifférence et contraints d’ouvrir les yeux. Le calcul que nous avons fait plus haut prouve qu’il n’y a rien d’absurde à prévoir le jour où For à son tour sera surabondant.

Non seulement la production annuelle s’en élève aujourd’hui