dans les caves des grandes banques d’émission que s’entassent les pièces ou les lingots d’or et d’argent, gage de la circulation fiduciaire, c’est-à-dire des billets qui servent à régler nombre de transactions. Mais le métal lui-même apparaît de moins en moins. Ou nous répondra qu’il est à la base de ces billets, échangeables à tout moment contre du métal, du moins dans les pays où le cours forcé ne règne pas. Cela est exact. Poursuivons toutefois notre examen des instrumens modernes d’échange : non seulement l’argent et l’or, mais les billets de banque eux-mêmes en constituent une fraction de plus en plus insignifiante ; c’est le chèque, le mandat de virement, le simple transfert en compte courant, qui règlent les neuf dixièmes des dettes et des créances nées entre habitans d’un même pays, ou de pays et continens différens. Ici encore on pourra nous faire observer que le paiement d’un chèque, d’un mandat, d’un solde créditeur chez un banquier est directement ou indirectement exigible en billets de banque ou en espèces sonnantes, et qu’en dernière analyse celles-ci finissent toujours par apparaître. Mais s’il est difficile d’arriver par cette voie à bien réduire à sa véritable importance le rôle de la monnaie, un autre raisonnement y mènera aisément. Que l’on mette en parallèle la somme de numéraire existant dans un pays donné avec le total de la richesse de ce pays évaluée en cette même monnaie : on se rendra compte aussitôt de la petitesse de cette dernière quantité par rapport à la première.
Les seuls dépôts confiés aux banques de Londres s’élèvent à environ vingt milliards de francs, alors que les statistiques les plus larges n’attribuent pas à l’Angleterre le sixième de ce chiffre en numéraire. La richesse publique de la France, c’est-à-dire l’addition de la valeur des immeubles et meubles possédés par les Français, a été évaluée à deux cents milliards de francs : bien que nous soyons le pays du monde le mieux pourvu en numéraire, il ne circule certainement pas chez nous le trentième de cette somme en or ou en argent. On touche ici du doigt la naïveté de la conception qui voudrait mettre dans un plateau de la balance la fortune publique et l’équilibrer de l’autre côté au moyen des métaux précieux. Ceux-ci ne représentent pas cette fortune ; ils servent à la mesurer et à en échanger des fractions entre elles. Leur utilité intrinsèque est faible par rapport à la valeur que le consentement commun des peuples civilisés leur a attribuée. D’un lingot de fer sortiront une foule d’instrumens indispensables à la vie, des charrues, des roues de voiture, des couteaux. Le plomb, le cuivre, le zinc, sont d’un usage constant. Nous pourrions au contraire fort bien exister sans bagues d’or ni bracelets d’argent.