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le fer qu’il nous faut monnayer. Un crime a été commis il y a deux mille deux cents ans, lorsque certains auristes et argentistes, afin d’augmenter le pouvoir d’achat de leurs biens mal acquis, ont, comme des voleurs nocturnes, grâce à de ténébreuses manœuvres, obtenu par surprise le rappel de la bonne et antique loi du sage Lycurgue, l’ami de nos ancêtres, de la loi de libre frappe du fer. La Chine est de nos jours le seul pays assez correct pour monnayer le fer : là, le fortuné travailleur a besoin d’une brouette pour emporter le prix de son honnête labeur. Une chute ruineuse des prix a suivi la démonétisation du fer, et s’est continuée pendant plus de deux mille ans. J’ai calculé les pertes que l’honnête ouvrier a subies de ce chef ; la somme est si effroyable que je redoute une révolution quand les gens apprendront de combien ils ont été volés. Mais, après tout, les faits sont les faits, et la meilleure façon de redresser un mal est de l’aborder carrément. Ces pertes s’élèvent à vingt et un quatrillions de dollars. Je conclus en insistant sur ce point que la libre frappe du fer amènera tous les résultats qu’on attend de celle de l’argent et infiniment davantage. Le peuple sera riche et prospère. L’homme jadis pauvre paiera ses dettes au moyen de son vieux fourneau. Les chemins de fer déclareront des dividendes payables en rails réformés et en matériel hors d’usage. Le gamin ramassera sur les routes, en clous et en fers à cheval, de quoi nourrir sa famille. Enfin il n’y aura plus ni dettes ni paupérisme ! »

Cette réfutation par l’absurde est très juste, sous son apparente insanité. Elle reproduit à peu près textuellement les argumens argentistes, en remplaçant le mot argent par le mot fer et en ajoutant, comme il convient, quelques zéros à la droite des nombres. Si le fait d’exprimer les prix en chiffres plus forts devait faire le bonheur de l’humanité, il n’y aurait qu’à choisir l’étalon de la valeur intrinsèque la plus faible. Mais puisque chacun touche du doigt la naïveté de ce raisonnement, il en résulte que l’adoption de l’étalon à valeur intrinsèque maximum. c’est-à-dire de l’or, ne nuit à personne.

Si l’importation, par suite des causes que nous avons exposées, se ralentit passagèrement, le commerce d’exportation devrait être affecté en sens inverse. Les marchandises expédiées par les Américains au dehors leur étant payées en monnaie des pays acheteurs, et une même quantité de cette monnaie représentant désormais une somme plus grande de dollars, les exportateurs encaisseront en apparence plus que par le passé. C’est-à-dire ils n’encaisseront pas plus de francs ou de livres sterling ; mais la même quantité de francs ou de livres sterling pourra être transformée en un plus grand nombre de dollars. Ce simple