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sécession, alors que les paiemens en espèces étaient suspendus, les journées d’ouvriers avaient augmenté moins que les prix des objets de consommation. C’est donc en définitive la classe pauvre, celle dont les agitateurs actuels prétendent servir les intérêts, qui souffrirait le plus d’une dépréciation de la monnaie. Observons d’ailleurs que cette dépréciation serait un véritable effet de langage et non une réalité. Le dollar actuel, qui n’est autre chose qu’un poids certain d’or fin, n’aurait rien perdu de sa valeur. Mais on aurait conservé le nom de dollar à une nouvelle monnaie, constituée par un certain poids d’argent. Quoi d’étonnant dès lors si cette unité, différente de l’ancienne, n’avait plus le même pouvoir d’achat ?

L’effet sur le commerce d’importation est indiscutable : les nations qui vendent aux États-Unis n’ayant pas changé leur système monétaire en même temps qu’eux, et le prix d’une marchandise devant s’acquitter dans la monnaie du vendeur, celle-ci coûtera aux Américains d’autant plus qu’ils ne pourront l’acquérir qu’au moyen de leur dollar déprécié. Ils ne se procureront par exemple cent francs français que moyennant quarante dollars, au lieu des vingt à peu près que cette quantité leur coûte aujourd’hui, cent livres sterling qu’au prix de mille dollars au lieu de cinq cents. Il en résulterait une diminution des importations, que les partisans de la vieille théorie de la soi-disant balance commerciale salueraient avec joie, mais qui ne prouverait qu’une chose, à savoir que, sous le nouveau régime, l’Amérique aurait une capacité d’achat moindre que par le passé.

La plaisanterie des argentistes qui vont partout s’écriant que l’argent est la monnaie du pauvre et l’or celle du riche est un des plus jolis paradoxes économiques qui se puisse soutenir, mais ne résiste pas au moindre examen. Les échanges ont lieu indistinctement entre tous les hommes, sans que le plus ou moins de fortune de chacun ait pour résultat de parquer les individus en groupes qui ne communiqueraient pas les uns avec les autres. Si l’or a plus de valeur pour le patron, il en aura davantage pour l’ouvrier, qui recevra sa paye en or ; si ce dernier la touche au contraire en argent déprécié, le patron aura obtenu lui-même une plus grande quantité d’argent en échange des produits de son industrie. Le résultat final sera toujours le même.

Les humoristes américains ne se sont pas fait faute de s’emparer de l’accusation enfantine qui prétend que le monométallisme or a méchamment enlevé à l’humanité des milliards, en empêchant la frappe d’autant de dollars d’argent, qui eussent doublé les prix et en lié les salaires. « Pourquoi s’arrêter à l’argent ? » écrivait récemment M. Alexandre P. Hull, d’Atlanta. « C’est