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Je suis bien loin de dire que nous ne devions pas nous informer des autres nations, nous instruire de ce qu’elles ont de bon, de profitable ; et, si nous pouvons nous l’assimiler, de le prendre.

Ce que je réprouve, et tout homme de bon sens le fera comme moi, c’est la fausse assimilation, ce sont les emprunts irréfléchis, intempestifs qui, ne répondant en rien au génie de notre race, doivent forcément rester stériles.

Je rappellerai, par exemple, le besoin d’imiter l’Allemagne, que j’ai vu frénétique sous la Restauration. En littérature, l’engouement fut poussé si loin, qu’on eût pu le qualifier d’anti-national.

Dans cette période alarmante, mes études m’obligèrent d’aller me fixer pour quelques semaines à Heidelberg. J’avais à me mettre en contact plus étroit avec bon nombre d’auteurs allemands dont il m’eût été difficile de réunir en France tous les ouvrages.

Ma chambre d’étudiant, fort dégarnie quand j’y entrai, se trouva richement meublée d’une montagne de livres étalés un peu partout ; ils me faisaient nombreuse société.

Du matin au soir, je lisais, lisais, avec une avidité dévorante. C’est là que je me suis nourri des antiquités du droit de Grimm, riche pâture ! que j’ai vécu dans l’intimité de Luther, admirant, disputant avec lui… Querelles fécondes, dont l’esprit et le cœur se trouvaient chaque fois singulièrement relevés. Ces entretiens étaient mon délassement des lectures ardues.

Quand ma soif d’investigation se fut un peu calmée, je liai connaissance avec les vivans studieux qui, comme moi, venaient chercher, dans une solitude relative, le silence recueilli dont ils avaient besoin pour pénétrer plus avant dans leurs études.

Ils étaient avides de la France, autant que je l’étais de la bonne, de la véritable Allemagne, toujours à admirer.

Alimenté d’elle en tous sens, je revins, la portant pour ainsi dire en moi. D’autant plus curieusement, je me rapprochai de ceux qui prétendaient représenter ici l’école allemande. Naïvement, j’espérais en être augmenté.

La déception fut prompte. Dès les premiers entretiens, je sentis combien ces fanatiques admirateurs de l’Allemagne, qui ne juraient que par elle, la comprenaient peu. Sa littérature, dont ils faisaient si grand bruit, ils ne la savaient pas ; ils lui étaient même si étrangers, qu’ils la prenaient, précisément, par ce qu’elle a de plus français.

En musique, au Conservatoire, c’était la même confusion, Beethoven se voyait irrévérencieusement mêlé à toutes sortes de