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elle n’atteint point son but. Ce n’est pas là la vraie majesté, et ce n’est pas non plus la France.

C’est l’emphase espagnole.

Vienne donc la délicieuse peinture du XVIIIe siècle, qui nous ramène à la vraie nature ; qui croit, avec tant de raison, qu’il n’y a rien de mieux à faire que de la bien pénétrer et de la suivre ; qui, d’abord, s’attache à reproduire celle que l’époque prise le plus : la nature féminine.

Nul n’a excellé comme Watteau à donner la femme dans la vie, le mouvement ; nul n’a su mieux rendre sa grâce et son charme, ni mieux poser sur les épaules sa jolie tête fine, expressive, sans mobilité fatigante ; ni faire mieux parler sa bouche et son sourire, les yeux aussi. Ce qui à chaque instant en jaillit, dans les éclairs d’une douce gaieté, c’est bien la scintillation de l’esprit français. Il illumine tout. On a dit que le modèle de Watteau, c’était l’Italienne. Bien à tort ! C’est presque toujours la Française qui l’occupe, qu’il met en scène, bien que sa maigreur, — spéciale à la fin du siècle, — l’attriste. Ce qui le séduit, l’ensorcelle, c’est ce mystère singulier de grâce et de mouvement qui n’est qu’à elle, dans un si juste équilibre.

Pour être vrai, disons qu’il appartient à notre race tout entière, et que Watteau l’a également saisi, ce rythme unique, dans son tableau : Comment le Français marche.

Vous voyez sous la pluie, dans la boue, — lestement, comme au bal, — marcher un bataillon de nos maigres soldats. Lui seul, le plus nerveux des peintres, a surpris, saisi les adresses invisibles, variables, de cette chose inconnue : « le pas. »

Hélas ! ce jeu de la physionomie, cette vivacité dans l’allure, et la scintillation du regard, on dirait que tout cela s’efface, s’éteint, avant même que le siècle ne finisse…

La révolution de 89 éclate ; le peuple en reçoit le choc électrique ; et le voilà de nouveau rentré en scène, le principal acteur du drame qui se déroule.

Aura-t-il, cette fois encore, pour interprète, quelque puissant génie ?

Nullement.

Et David, direz-vous ?

David ?… Non, car il ne spécifie pas, il reste dans le général. À part le Serment du jeu de Paume, les Funérailles de Lepelletier, on ne se douterait jamais qu’il ait été mêlé lui-même à la Révolution, et pour elle plein d’enthousiasme.

Le dessin de son Marat mort est fort beau ; mais lorsqu’il le peint, ce n’est plus qu’un Marat quelconque, mou, faible, vague,