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national d’un peuple. Le temps me manque pour en fournir ici des preuves multiples ; pour insister aussi sur mon regret, quand je constate que la France, de bonne heure si avancée à tant d’autres points de vue, en ceci fut en retard.

La révélation de l’âme de la patrie, dans l’art — chez elle — n’a percé que lentement. Au XVe siècle, on croit la voir apparaître naïve, mais c’est plutôt l’Italie.

Au XVIe siècle, elle s’élance dans la sculpture, et trop peut-être. Jean Goujon tourne volontiers à l’arabesque. Il commence par la femme et finit par l’ondine. Germain Pilon, qui eut la grâce et la force réunies, nous révèle une France plus vraie, quoiqu’un peu mignarde parfois.

Tout autre, — toujours dans la sculpture, — éclate le génie de la France au XVIIe siècle. L’œuvre immortelle de Puget n’exprime pas seulement la passion austère du grand artiste, elle est encore l’exode des malheurs du temps. Leur sombre genèse est racontée, même dans les monumens officiels, où la liberté de l’artiste subit à l’ordinaire, dans l’exécution, de multiples entraves.

Ce fier génie échappe ; il ne consent à donner que ce qu’il voit ! En lui, le peuple a son avènement. Peuple pacifique, écrasé par toutes les calamités à la fois : la guerre (voir le Petit Alexandre du Louvre), les razzias du fisc, les persécutions religieuses : galères, prisons, enlèvemens d’enfans, etc.

Le Milon, les Atlas, de Toulon, la petite Andromède, sont autant de symboles des tragédies de l’époque dont les froids Mémoires ne donnent guère l’idée.

Le caractère national se révèle aussi dans le goût des ornemens, des décorations. Si ce goût est parfois exagéré, il faut convenir qu’il y a souvent une vraie noblesse dans l’édifice en lui-même. Je ne citerai que la hardiesse élégante de la porte Saint-Denis, la coupole des Invalides, l’aînée de notre Panthéon. Noble et mélancolique monument, construit dans les années meurtrières du grand siècle. Asile étroit, insuffisant pour tant d’hommes qui revenaient mutilés.

Il subsiste plutôt pour rappeler au souvenir les peuples anéantis, les millions de morts dispersés qui n’ont pas eu de tombeau.

Si maintenant nous consultons la peinture de la même époque, nous trouvons, au contraire, que la nationalité mollit ou s’efface. La bourgeoisie que nous peint Lebrun, bouffie en même temps que médiocre, aspire vainement à la majesté. Elle a beau s’exhausser, — en haut, — par la monstrueuse perruque, — en bas, se dresser sur des talons de proportions invraisemblables,