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tainement, on l’avait prévu ; mais on aurait dû tout faire pour en arrêter les conséquences, et on a tout fait au contraire pour les développer. Aussi peut-on dire qu’il y a aujourd’hui à Madagascar autant d’insurgés ou de fahavalos qu’il y a d’armes disponibles, et la quantité de ces armes augmente sans interruption. Les villages qui ont rendu les leurs ne peuvent plus se défendre, et nous ne sommes pas toujours en nombre, ou à proximité pour les protéger. Les quelques milliers d’hommes dont nous disposons sont surmenés. Ils l’ont des prodiges de courage et encore plus de mobilité pour arriver à des résultats insuffisans. Aujourd’hui sur un point, demain sur un autre, ils brûlent les étapes et semblent ne pas connaître la fatigue. Toutes les fois qu’ils atteignent l’ennemi, ils en viennent facilement à bout : la supériorité de leur armement, et surtout de leur éducation militaire, ne laisse pas longtemps le résultat incertain. Mais la plupart du temps les insurgés se dérobent et vont porter ailleurs leurs déprédations. Ils comptent sur la durée de la lutte pour épuiser les forces ou pour réduire l’effectif de nos soldats. Quant à eux, ils s’aguerrissent tous les jours davantage, et tous les jours aussi ils reçoivent des armes nouvelles, car la contrebande de guerre s’exerce sur les côtes de Madagascar avec une grande activité, et les moyens pour la réprimer nous font presque complètement défaut. Nous avions pour cela deux navires ; le ministre de la marine en a porté le nombre à quatre : nous l’en félicitons, mais ce n’est pas assez, il s’en faut même de beaucoup, pour surveiller une aussi grande étendue de côtes. Tantôt sur un point, tantôt sur un autre, des armes pénètrent dans l’île et passent entre les mains des insurgés.

Telle est la situation : loin de les exagérer, nous en atténuons les symptômes. Comment M. Laroche y a-t-il pourvu ? Son passé administratif l’avait mal préparé aux fonctions si délicates et si lourdes qui lui ont été dévolues. M. Laroche, ancien officier de marine, était devenu préfet. On a dit que le gouvernement de cette époque avait vu dans son envoi de Toulouse à Tananarive le moyen de faire en France un mouvement administratif. Cette explication, qui est la plus simple de toutes, est aussi peut-être la plus vraie : ce sont souvent des motifs de cet ordre qui déterminent chez nous les résolutions les plus graves. M. Laroche est protestant, ce qui ne diminue en rien ses mérites, mais ce qui aurait suffi pour déconseiller au gouvernement de le choisir comme résident à Tananarive. Dans un pays où les différences de religion se rattachent à des différences de nationalités, il faut sans doute pratiquer la plus large tolérance, mais il importe que l’exemple en soit donné par un résident catholique. Le choix de M. Laroche n’aurait pu se justifier, ou s’excuser, que si ce préfet de la Haute-Garonne avait eu une compétence hors ligne en matière d’administration coloniale, une expérience éprouvée, une supériorité incontestable et incontestée sur ses concurrens. Or, il n’en était pas ainsi, et M. Laroche n’a