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nexion, le ministère Bourgeois, par un de ces éclectismes qui en politique sont l’abdication de toute volonté, les a adoptés tous les deux et a prétendu les appliquer conjointement. Il en est résulté une confusion qu’il était facile de pressentir de Paris, mais dont il reste à décrire les principaux effets à Tananarive et dans toute l’île malgache. Lorsque M. Hanotaux est revenu au ministère des affaires étrangères, il n’a plus reconnu son œuvre qui, effectivement, était devenue méconnaissable. Dans son embarras, peut-être dans son découragement, il a pris un parti qu’il est plus facile de comprendre que d’approuver, mais qui n’est cependant pas sans excuses. Il a rompu les liens qui rattachaient Madagascar au ministère des affaires étrangères. Éloignez de moi ce calice ! Madagascar est devenu une colonie. Dès lors, l’opération a été consommée. Maintenant, qu’on le reconnaisse ou non, qu’on s’obstine à fermer les yeux ou qu’on les ouvre à l’évidence, on n’évitera pas les charges écrasantes de l’annexion, et si on ne veut pas les accepter et y faire face globalement, — puisque ce méchant adverbe est à la mode ; — si on n’envoie pas d’un seul coup à Madagascar tous les hommes et tout l’appareil militaire indispensables à un succès rapide et définitif ; si on échelonne les envois ; si on prétend pourvoir, tant mal que bien, à la difficulté actuelle sans se préoccuper de celle du lendemain ; si on laisse à d’autres les responsabilités prochaines afin de ne retenir pour soi que celles d’aujourd’hui, alors que les unes et les autres sont étroitement solidaires, on aura commis la dernière faute qui restait à commettre. Et nous craignons beaucoup qu’on ne soit à la veille de le faire.

Mais revenons à Madagascar : c’est là qu’il faut constater le contrecoup du prodigieux désarroi d’idées qui s’est produit à Paris. Il y a eu trois périodes successives et parfaitement distinctes : nous sommes seulement au début de la troisième. La première a été consacrée à l’organisation du protectorat, conformément au traité du 1er octobre 1895, traité que le général Duchesne avait emporté de Paris, où il avait été soigneusement élaboré par les hommes les plus compétens, et qu’il avait fait signer par la reine en y apposant sa propre signature. La seconde a été remplie par l’étrange odyssée politique et administrative de M. Laroche, qui est arrivé avec un second traité et l’a fait également signer par la reine, mais sans y mettre lui-même le moindre visa. Bien que cette période ait été courte, elle a suffi pour faire passer dans les faits, à Madagascar, l’anarchie qui était dans les esprits en France, et il semble bien que M. Laroche ait été le trop fidèle représentant de cette confusion mentale. La troisième période, celle qui commence, est la période militaire. Il n’y a plus rien à Madagascar, ni gouvernement, ni administration. Tout est à faire, ou à refaire, et la force seule est capable de remplir cette œuvre : la seule question est de savoir si la force dont dispose le général Gallieni sera suffisante.