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humanitaire, candide et tendre, — charmante ; — c’est l’Allemagne que nous avons tant aimée. Don Carlos, tragédie allemande, est, dans ses parties essentielles, une revendication des droits de la conscience et aussi du droit qu’ont les peuples de disposer d’eux-mêmes ; une protestation enflammée contre les abus de la force, contre l’asservissement et le viol d’une province (le mot s’y trouve). Les directeurs de l’Odéon n’ont donc pas si mal choisi, cette fois.

Parmi les interprètes de Fracasse, MM. Janvier, Léon Noël, Albert Lambert, Gémier et Coste, et Mlles Mellot et Depoix méritent d’être nommés, et, parmi les interprètes de Don Carlos, après M. Taillade, MM. de Max, Rameau et Albert Lambert.

Dans la pléiade de nos jeunes auteurs dramatiques, M. Brieux occupe une place à part et singulièrement honorable. Les autres sont tous Parisiens, et blasés, et malins, et roués comme potences. M. Brieux n’est Parisien, ni par l’esprit : il ignore la blague, c’est-à-dire l’ironie pratiquée pour elle-même, ni par le choix de ses sujets : Manchette, Réboval, l’Engrenage, sont des comédies provinciales. Déjà sa pièce de début, Ménages d’artistes, se faisait remarquer, il m’en souvient, par une bonhomie d’honnêteté qui semblait extravagante sur les planches éhontées du Théâtre-Libre. M. Brieux, à l’encontre de beaucoup de nos plus brillans écrivains, distingue très sûrement et très nettement le bien du mal, et aime à nous signifier fortement qu’il fait cette distinction. Il a quelque chose d’un bonhomme Richard ou d’un Simon de Nantua ; car il ne recherche point les cas subtils et rares, il ne redoute pas les lieux communs de morale, et comme il a raison ! Toutes ses pièces sont des comédies didactiques, je dirai presque des moralités et des soties. « Il ne faut pas donner aux filles pauvres une instruction qui les déclasse » (Blanchette) ; « le pharisaïsme, même de bonne foi, n’est point la vertu » (Monsieur de Réboval) ; « la politique est une grande corruptrice » (l’Engrenage). Chaque pièce est, d’un bout à l’autre et sans distraction, la démonstration méthodique de chacune de ces vérités. Par là, M. Brieux rappellerait un peu trop ce fâcheux Boursault ou ce pénible Destouches, s’il ne faisait songer beaucoup plus encore, par sa simplicité et par la spontanéité de son talent dramatique, à l’excellent tailleur de pierres Sedaine, auquel il ressemble, du reste, par l’absence de style. Mais voici où il apparaît surtout original. Il a l’esprit non pas audacieux (cela est trop facile ! ) mais brave ; il se porte à l’étude des grandes questions, de celles qui intéressent toute la communauté humaine, de l’air d’un autodidacte qui aurait l’esprit très neuf, le jugement très droit et le cœur très chaud. Mais en même temps ce prêcheur candide est un observateur très véridique, très minutieux et parfois très pénétrant de l’humanité moyenne. Il communique ainsi, je ne sais comment, au plus glacial des genres la couleur et la flamme. Ses « moralités » vivent ; et c’est cela qui est extraordinaire.