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la décence de forme ne sauraient être niées, — nous rencontrons partout le plus consolant des optimismes, un romanesque tempéré qui fut gracieux à son heure, le respect absolu de la famille, une extrême sévérité contre les courtisanes, des chutes convenables d’honnêtes femmes qui ne pèchent qu’à demi ou qui ne pèchent qu’avec remords, la foi aux principes de la Révolution française, un humanitarisme vague, mais sincère, assez semblable à celui du « tyran » lui-même, un patriotisme ardent et qui va volontiers jusqu’au chauvinisme, la condamnation du scepticisme et du dilettantisme, un spiritualisme conforme à celui qu’on enseignait dans les lycées, et enfin, sur les questions d’argent, une intransigeance d’attitude tout à fait recommandable. Les auteurs dramatiques du temps eurent le mérite de comprendre que le grand danger du régime nouveau était, en effet, dans la suprématie menaçante de l’argent et dans les conséquences que les méchans pouvaient tirer des doctrines positivistes et darwiniennes, qui commençaient à se répandre : et donc ils furent impitoyables aux jeux de la spéculation et nous montrèrent, à tout bout de champ, des financiers conspués, et repentans, au cinquième acte, jusqu’à la restitution… Et tout cela est très gentil, et même très honorable ; et c’est parce que presque tout cela se retrouve à la fois dans Montjoye que je suis tenté de considérer cette pièce comme un des types de la comédie « second Empire », généreuse, crédule, assez souvent conventionnelle, — et, s’il faut le dire, quelque peu « pompier ».

Car, si ces auteurs étaient pleins de bons sentimens, ils n’étaient pas sans quelque niaiserie. D’abord l’insupportable style cher aux chroniqueurs de cet âge, le style « brillant », hélas ! cinglant et cravachant, piaffant et caracolant, le style Desgenais, — qui fut aussi quelquefois le style Jalin et le style Ryons, — sévit chez eux le plus fâcheusement du monde. Puis, ils sont décidément moins respectueux de la vérité que de la morale, et redeviennent par-là dangereux à leur façon en nous montrant la vertu ou beaucoup plus facile ou beaucoup plus récompensée qu’elle n’est généralement. Ils ont des illusions singulières, et qui ne témoignent pas d’une grande profondeur ou d’une grande loyauté d’observation. Stricts et même rigoristes sur la probité, ils sont assez coulans sur les mœurs, sauf quand il s’agit de la courtisane, l’ennemie née du foyer domestique. Ils ont des indulgences infinies pour les viveurs jeunes ou vieux. Ils croient imperturbablement au « cœur d’or » des fils de famille qui font des lettres de change à leur père. Ils sont persuadés que l’oisiveté, le jeu et la débauche ont pour effet ordinaire d’affiner secrètement le sentiment de l’honneur, et qu’il y a dans tout jeune décavé un héroïque soldat d’Afrique qui sommeille. Durs à la femme galante « professionnelle », ils glorifient presque à l’excès la pauvre fille séduite, ne se contentent point de l’absoudre et ne manquent jamais, jamais, de la faire traiter