symphonie. Il a du moins largement usé de cette aptitude spéciale pour appuyer ses récitatifs, pour leur donner souvent un caractère pittoresque en rapport avec les situations, pour mettre quelque intérêt à ces vagues attentes, à ces balancemens indéfinis, à ces incessantes et insaisissables modulations auxquelles il se complaît et par lesquelles il berce ses auditeurs. Lorsque Wagner s’est servi discrètement et avec art de ces moyens de préparation, lorsque la gradation d’effets qu’il en tire correspond dans ses poèmes à une progression parallèle de sentimens, l’action est irrésistible et réalise d’une manière éloquente, au profit de l’œuvre dramatique, cette cohésion et cette convergence raisonnées de tous les moyens d’expression qu’il a visées, et que d’autres avant lui, Gluck et Mozart notamment, nous avaient déjà montrées dans d’impérissables chefs-d’œuvre.
Mais trop souvent, en revanche, Wagner abuse de cette dextérité magistrale à manier l’orchestre et cherche, sans mesure, à accroître sa puissance en greffant sur lui une foule d’instrumens extra-musicaux : carillons de cloches, porte-voix, enclumes, machines à tonnerre, etc. Trop souvent aussi, par l’usage immodéré qu’il fait de ces bruits divers, il s’adresse plus à notre curiosité qu’à notre intelligence, plus à nos sensations qu’à nos sentimens. En l’associant à des excitations sur lesquelles il insiste à outrance, il a en quelque sorte matérialisé la musique dans ces scènes d’amour si complaisamment développées où les regards échangés durent cinq minutes et les baisers dépassent un quart d’heure. Que de fois on se prend à regretter que cette agitation sans trêve de l’orchestre et ces tapages sans rémission soient employés fiévreusement à colorer bien plutôt qu’à dessiner ; que les fragmens de phrases s’y succèdent sans articulations, sans commencement comme sans fin. En tout cas, si ces remplissages fréquens auxquels il est difficile de se prendre peuvent se supporter à la scène, alors que le jeu des acteurs, les décors, les effets de lumière multipliés et l’intervention répétée des machines aident à soutenir l’attention, ils ne suffiraient pas à édifier une symphonie, et, fût-ce au prix de cette mélodie infinie par laquelle le compositeur essaie de tromper notre attente, quelques motifs vraiment mélodiques feraient bien mieux notre affaire.
Très habile dans la mise en valeur de son talent, Wagner, arrivé à la réputation, a, par ses nombreux écrits, puissamment aidé au succès de ses œuvres. Les inconséquences, les contradictions même ne lui coûtent guère pour arriver à ses fins et plaider ainsi sa propre cause en parlant d’autrui. Après avoir fait observer avec raison que « la musique ne peut exprimer à elle seule un objet défini », comme si les symphonies de Beethoven le gênaient