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efforts les plus sérieux tentés par un Français dans le domaine de la musique pure. Il saluait en lui le promoteur d’une réaction devenue nécessaire contre cette facilité un peu banale des maîtres italiens dont « avant même qu’ils aient parlé, on sait déjà ce qu’ils vont dire. » Celui que Schumann acclamait ainsi comme un novateur n’avait reçu qu’une éducation musicale fort incomplète. Sa vocation avait été longtemps contrariée par ses parens, et à l’inverse de la plupart des compositeurs, il n’était pas du tout pianiste. Beethoven, encore peu connu et qui n’était goûté que par un petit nombre d’amateurs, partageait avec Shakspeare ses plus ferventes admirations, et comme on était alors en plein romantisme, le jeune homme, séduit par le mouvement qui entraînait les esprits, associait un peu trop complaisamment les idées littéraires de cette époque à ses aspirations musicales. Visant à la singularité, multipliant les antithèses, prenant trop souvent le monstrueux pour le grand et la bizarrerie pour la distinction, il ne se rendait pas assez compte, en tout cas, que la pleine possession des ressources de son art pouvait seule lui assurer un style et des moyens d’expression vraiment personnels. À peine avait-il appris l’harmonie pendant un an, sous la direction de Reicha, que, pressé de produire, il composait, en 1827, une messe qui fut tenue pour injouable et incompréhensible, ainsi d’ailleurs qu’il était obligé de le reconnaître, car après une première audition, se faisant lui-même justice, il avait repris sa partition. En 1829 il attirait sur lui l’attention par sa Symphonie fantastique publiée avec le sous-titre : Episode de la vie d’un artiste. La bienveillance avec laquelle Schumann avait applaudi aux débuts de Berlioz ne pouvait pas s’étendre à une pareille tentative ; il aimait trop son art, il en connaissait trop bien les limites pour encourager une œuvre qu’il considérait « comme une hérésie musicale absolument anarchique. » À ses yeux, la symphonie à programmes n’avait aucune raison d’exister. Pourquoi rabaisser un genre qui avait produit de si glorieux chefs-d’œuvre à un rôle qui n’est pas le sien ? À quoi bon se priver de la voix et de la parole alors qu’il suffirait d’un mot pour désigner nettement des objets ou pour expliquer des situations que les commentaires musicaux les plus ingénieux et les plus développés ne parviendront jamais à rendre claires ? Dans le cas présent, par la façon même dont il rédigeait ses programmes, Berlioz semblait, du reste, avoir pris à lâche de discréditer son œuvre en y accumulant toutes les divagations, toutes les incohérences qui hantaient son esprit. Il serait cruel de copier ici in extenso cette page où, sous une forme ridicule, les types à la mode de cette époque se trouvent associés aux épisodes les plus saugrenus. Nous nous