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Mozart, ni ces ardeurs qui consumaient Beethoven ; mais par sa clarté, sa correction parfaite, et sa mesure exquise, il mérite de les continuer. Le culte qu’il professait pour Haendel et surtout pour S. Bach, lui avait appris à manier, avec une facilité merveilleuse, les belles formes polyphoniques dont il trouvait chez eux le modèle. Cependant, s’il éprouve un légitime désir de connaître et de s’assimiler les productions remarquables de ses devanciers, il ne cherche pas avec moins d’ardeur à se renouveler. Toutes les occasions lui sont bonnes pour essayer de sortir de lui-même et d’ajouter à sa science aussi bien que d’exciter son imagination : les voyages, la fréquentation des hommes les plus distingués, le commerce des grands écrivains classiques de tous les pays que sa connaissance approfondie des diverses langues lui permet de lire sans traduction ; il tire parti de toutes ces ressources. L’antiquité grecque aussi bien que la poésie de Racine sollicitent son esprit ; elles lui inspirent des œuvres telles que les chœurs d’Antigone, ou ceux d’Athalie. Les livres saints qu’il pratique d’une manière encore plus suivie lui fournissent la matière de ses ouvrages les plus considérables, les oratorios de Paulus et d’Elie. Enfin les souvenirs que lui ont laissés l’Italie et l’Ecosse prennent place dans deux de ses symphonies, et, pénétré d’admiration par l’aspect grandiose de la grotte de Fingal, il note sur place, le jour même, l’ébauche du motif principal de son ouverture des Hébrides. Mais la nature n’est pour lui qu’un stimulant ; il connaît trop bien les ressources et les limites de son art pour essayer d’en peindre des aspects particuliers et d’en détailler des descriptions.

Les conditions de cette noble vie aussi bien que les aspirations mêmes de l’artiste concourent, on le voit, à le maintenir à une hauteur constante, à le porter vers les grandes œuvres. La volonté nécessaire pour s’absorber dans un ouvrage de longue haleine était chez lui au niveau du talent. Il s’est mis tout entier dans tout ce qu’il a fait, avec un pareil souci de perfection et, comme le disait un de ses amis les plus chers, « avec cette infatigable ténacité qui lui faisait apporter les soins les plus minutieux et la plus grande énergie pour exprimer son idéal[1]. » Mais la symphonie et peut-être plus encore l’oratorio étaient les formes qu’il préférait, celles où il a le mieux donné sa mesure. Il avait, en effet, les rares qualités qui conviennent à ces deux genres : le sens de la grandeur, l’ampleur des développemens, l’enchaînement des idées, la liberté de se mouvoir parmi les combinaisons les plus complexes. Avec une clarté admirable, il possède aussi cette élévation naturelle du style qui ne laisse jamais soupçonner

  1. Ferdinand Hiller, F. Mendelssohn-Bartholdy ; Lettres et souvenirs.