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s’attarde parfois en ces « divines longueurs » que, non sans raison, on a pu lui reprocher.

Si Schubert aurait eu bien des motifs de se plaindre de la destinée, Mendelssohn, en revanche, nous offre le très rare exemple d’un artiste qui, né dans l’opulence, n’a point été gâté par elle. Débarrassé des soucis matériels de l’existence, il a pu non seulement consacrer toute sa vie au travail, mais user de sa fortune pour son éducation personnelle. Tout conspirait, du reste, à lui faciliter sa tâche. Son nom avait été déjà illustré par son aïeul, le philosophe Moses Mendelssohn ; le salon de sa famille réunissait à Berlin la société la plus intelligente et la plus cultivée et, comme pour lui rendre encore plus chère la pratique de son art, il rencontrait à l’entrée de sa carrière la résistance momentanée que son père opposait à sa vocation. L’instruction littéraire qu’il reçut avant de pouvoir s’y livrer, n’en fut que plus complète, et quand enfin, ses études étant terminées, ses premiers succès triomphèrent des répugnances paternelles, les circonstances extérieures lui étaient en même temps devenues de plus en plus favorables. Dans l’Allemagne affranchie et pacifiée, l’amour des arts et surtout de la musique s’était largement développé. Avec la virtuosité et le savoir qu’il avait pu acquérir, Mendelssohn à peine adolescent faisait l’admiration de tous. A l’âge de treize ans, il est présenté par Zelter, son maître, à Gœthe qui l’accueille avec une bienveillance particulière et regrette en l’écoutant de n’avoir pas donné à la musique une plus grande place dans sa propre vie. Le jeune prodige est d’ailleurs avenant, modeste, bien tourné, plein de réserve, et le commerce du meilleur monde a de bonne heure ajouté à sa distinction naturelle. Il mérite tous ces dons et il les accroît par un travail assidu. Il sait ce qu’ont fait les maîtres et avec son esprit ouvert et son éclectisme intelligent, il a bientôt acquis un sens critique et un goût très exercés. Sauf le théâtre, vers lequel il ne sera jamais porté, toutes les formes de l’art musical lui sont accessibles et il est capable de les pratiquer toutes avec une égale distinction. Tour à tour il les reprendra au point où les ont laissées les plus glorieux de ses devanciers. Leurs diverses qualités se trouveront réunies en lui, équilibrées dans un ensemble harmonieux où le savoir a autant de part que l’inspiration, avec un sentiment très personnel d’élégance et de grâce. Dès son extrême jeunesse il marque son originalité dans une œuvre accomplie. A dix-sept ans, en effet, il débute par un coup de maître, et ce que Weber avait déjà fait à la scène avec Freischütz, ce que cette année même (1826) il faisait de nouveau avec Oberon, Mendelssohn tentait de le réaliser dans le domaine de la musique pure, avec les seules