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la faveur de cette partie du public qui veut toujours savoir à quoi se prendre, et, comme un grand enfant, a besoin qu’on lui conte des histoires.

Beethoven, d’ailleurs, rencontrait dans cette voie plus d’un de ses devanciers, Haydn notamment qui, dans la Création, dans les Saisons et même dans plusieurs de ses symphonies, a introduit quelques-unes de ces imitations descriptives. Mais les bourdonnemens d’abeilles que simule parfois un accompagnement, ou les oiseaux qui poussent çà et là leur cri joyeux ne figurent dans son œuvre qu’à la façon des ingénuités que nous offrent les vieux maîtres. Ils n’y tiennent en tout cas qu’une place minime et sont d’ailleurs motivés par la parole explicative. Bien plus encore que chez son prédécesseur, l’homme reste le centre de l’art de Beethoven. Si les grands spectacles de la nature le remplissaient d’admiration, ce sont les sentimens qu’ils lui inspiraient et non les réalités elles-mêmes qu’il a voulu exprimer. On raconte, il est vrai, que c’est en contemplant le ciel étoile et en pensant au cours harmonieux des astres qu’il écrivit l’adagio d’un de ses quatuors (Op. 59). Mais sans cette information que nous a laissée Schindler, son confident, qui s’aviserait jamais de l’origine de cet adagio ? De même, sans le programme de la Symphonie pastorale, qui pourrait supposer que l’imitation directe de la nature ait la moindre part dans la valeur de cette œuvre ? Le chant de la caille et celui du coucou qui y sont intercalés y semblent de purs enfantillages, d’un goût contestable, et si l’épisode de l’orage demeure un morceau tout à fait grandiose, c’est qu’il a sa beauté propre et qu’il a été conçu d’une manière exclusivement musicale. Au lieu d’un phénomène atmosphérique, un auditeur non prévenu reconnaîtrait tout aussi bien dans cette partie de la composition l’image et les agitations d’une lutte intérieure, les sourds grondemens de la passion à ses débuts, puisses élans impétueux, ses déchaînemens ; enfin le calme qui leur succède et qui rentre peu à peu dans une âme humaine.

Comme s’il eût pressenti, au surplus, le danger que pouvaient offrir les indications, toutes sommaires qu’elles fussent, du programme tracé par lui, le maître prenait soin d’écrire sur sa partition ces simples mots : « Expression de l’impression reçue plutôt que peinture. » Mais il avait, sans le vouloir, donné le branle à des commentaires qui ne devaient pas s’arrêter en si beau chemin, et les soi-disant connaisseurs allaient longtemps s’exercer sur un pareil sujet. Croyant même lui être agréables, plusieurs de ses admirateurs lui envoyaient leurs élucubrations personnelles au sujet de ses compositions ou en faisaient distribuer dans les concerts donnés en son nom les interprétations les plus