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car elle serait pour lui une délivrance à des maux aussi affreux qu’immérités.

Dans la seconde symphonie, Beethoven, tout en respectant les formes consacrées, excelle déjà à tirer des motifs les plus simples des développemens aussi riches qu’imprévus. Les parties, sans être plus nombreuses, sont à la fois plus fournies et mieux rattachées à l’ensemble. Une orchestration plus colorée et plus brillante fait valoir la beauté des idées musicales dont, par des retards habiles, le compositeur prépare et amène l’éclosion. Ainsi que le remarque M. Brenet, ces idées qui nous paraissent aujourd’hui si clairement déduites et si compréhensibles, avaient cependant dérouté le public par leur nouveauté. Ce fut bien autre chose avec l’apparition de la Symphonie héroïque, sur laquelle M. Camille Bellaigue, avec sa compétence habituelle, a récemment publié l’attachante étude que nos lecteurs ont présente à l’esprit. On chercherait en vain quelque trace du style des prédécesseurs de Beethoven dans cette œuvre empreinte d’une poignante tristesse et comme soulevée par ce souffle lyrique qui jusque-là était demeuré étranger à la symphonie. C’est le divertissement de leurs auditeurs qu’avaient cherché ses devanciers, en conservant à leurs productions un caractère de sérénité et d’agrément bien conforme aux traditions du genre et à leur manière propre de le comprendre. Beethoven, au contraire, fait de la symphonie un instrument d’expression tout personnel. C’est lui-même qu’il nous peint avec ses aspirations, ses désespoirs, ses souffrances traversées par des élans de joie. Comme il se met tout entier dans son œuvre, les contrastes y sont plus saisissans, les accens plus profonds, plus intimes. La façon même dont il l’a conçue explique en quelque manière l’originalité de l’inspiration.

La révolution française avait eu à l’étranger un retentissement bien naturel, et le mouvement qu’elle avait provoqué dans les esprits devait surtout trouver son écho chez un méditatif et un solitaire tel que Beethoven. L’admiration qu’il professait pour elle s’était bientôt étendue à Bonaparte, qu’il considérait comme sa vivante personnification, voyant en lui l’être privilégié chargé d’en assurer les bienfaits à l’humanité tout entière. Parant son héros de tous les désintéressemens et de toutes les vertus, il en avait fait une figure idéale, et quand Bernadotte, alors ambassadeur de France à Vienne, lui suggérait l’idée de composer en l’honneur du premier consul un important ouvrage, il rencontrait le désir du maître lui-même. Obligé par des engagemens déjà contractés d’en différer l’exécution, celui-ci n’avait pas cessé d’y penser et lorsqu’il put enfin s’en occuper, il s’était mis avec ardeur au travail. Sur la couverture du manuscrit de la partition encore