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à Plombières stipulant le maintien du Pape et des autres princes italiens dans leurs droits respectifs, quand il a substitué violemment l’unité à la confédération, mais il en est un qu’il a tenu, malgré une opposition formidable, en cédant à la France la Savoie et Nice.

M. de Bismarck a-t-il satisfait à ce même devoir envers les puissances qui, par leur abstention ou leur neutralité bienveillante, lui ont facilité les succès qu’il a remportés ? S’est-il souvenu des paroles qu’il a portées lui-même à Biarritz et de celles qu’il a fait entendre à Saint-Pétersbourg à maintes reprises ? Il a tout oublié. On conçoit qu’après la guerre faite à l’Autriche en 1866, ayant la ferme intention de la reprendre avec la France, il n’ait tenu aucun compte des compensations promises ; mais on ne comprend pas qu’il ait été, après le traité de Francfort, aussi dépourvu de mémoire avec la Russie. En quittant Versailles pour rentrer dans ses États agrandis, le nouvel empereur avait pourtant télégraphié à l’empereur Alexandre : « La Prusse n’oubliera jamais qu’elle vous doit d’avoir empêché la guerre de prendre des proportions plus grandes. » Et il avait signé : « Pour toujours votre reconnaissant : Guillaume. » N’avait-il pas raison, cet heureux souverain, de remercier le tsar d’avoir contenu l’Autriche et permis ainsi à la Prusse de pousser ses succès jusqu’à l’abus ? Faut-il croire que l’empereur Guillaume, revenu couvert de lauriers à Berlin, a lui-même perdu le souvenir des services reçus, ou bien que son principal ministre, désormais le prince de Bismarck, parvenu au sommet culminant rêvé par son ambition, a été pris de vertige, et que, se considérant dès lors comme l’arbitre unique des destinées de l’Europe, il a jugé superflu de compter avec ses amis de la veille ? Ce qui est certain, c’est qu’en cette occasion il a manqué de noblesse et de grandeur, et que son ingratitude, si elle ne fut un crime, fut certainement une faute, si on nous permet d’évoquer, à son sujet, une expression ou plutôt un jugement resté célèbre dans les fastes de la diplomatie. Le châtiment d’ailleurs ne n’est pas fait attendre, et son incurable orgueil en a été le principal instrument.

En effet, durant les trois guerres qu’il a provoquées, il a eu un allié qui lui est resté invariablement fidèle, c’est la Russie. Elle possédait, sur les Duchés de l’Elbe, des droits souverains ; elle a négligé de les faire valoir pour lui complaire ; elle était la puissance dominante dans la Baltique, et sa fidélité l’a dépossédée de cette situation au profit de la Prusse, maîtresse aujourd’hui, dans la Baltique, d’un établissement maritime de premier ordre. Il lui aurait suffi, pour conjurer les défaites infligées aux armées autrichiennes, d’opposer son veto à la guerre de 1866 ; elle n’en