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Cavour que nous avons connu, l’homme d’État qui ne déguisait aucun mystère. Il conspire avec les administrations provisoires établies dans les Duchés et dans les Romagnes, non plus pour réunir les différentes contrées de la péninsule en une association fédérale comme son souverain s’y était engagé à Villafranca, mais uniquement pour réaliser l’union de ces territoires au Piémont. Bientôt il encourage l’expédition de Garibaldi en Sicile, et il prend prétexte de ses succès pour prétendre que ce chef de volontaires se montrait résolu à marcher sur Rome après être entré à Naples, et que, pour prévenir une si troublante éventualité, le gouvernement du roi se trouvait obligé d’envahir les provinces pontificales de l’Adriatique afin d’arriver en temps opportun à Naples et dessaisir les révolutionnaires de leur conquête.


XVI

Lancé dans cette voie nouvelle, le comte de Cavour la parcourut jusqu’au bout. Il réunit au Piémont, après l’Italie centrale, l’Italie méridionale, dans des circonstances bien différentes dont il ne tint aucun compte. La marque des annexions, dans la première de ces deux contrées, fut la spontanéité du pays lui-même ; les populations s’offrirent et se donnèrent ; dans le royaume des Deux-Siciles, la marque fut la violence ; les populations furent conquises et prises de force. A l’heure des plébiscites et des élections des assemblées locales, les Duchés, la Toscane et les Romagnes n’étaient occupés par aucune force piémontaise ; dans le midi au contraire, les volontaires de Garibaldi et l’armée sarde dominaient en maîtres, et c’est en leur présence, sous le coup de l’invasion, que l’on procéda au choix des députés qui votèrent la réunion au Piémont. Le comte de Cavour en était venu, en somme, à employer des procédés de gouvernement que M. de Bismarck devait illustrer de son côté.

Le futur chancelier en a largement usé et abusé durant ; la préparation de la guerre qu’on était à Berlin bien résolu à déclarer à l’Autriche. Les Duchés conquis, il ne cache guère ses intentions, il devient plus explicite en restant insidieux. Dans cette nouvelle campagne diplomatique, on procéda à une nouvelle distribution des rôles ; la duplicité échut au roi Guillaume. Pendant que le ministre, par des indiscrétions calculées, s’employait à, disposer favorablement l’opinion publique, le souverain ne perdait aucune occasion de rassurer les esprits alarmés par son principal conseiller. Il se montrait rigide observateur du respect des couronnes ; on l’eût offensé en lui supposant la pensée d’agrandir ses États au détriment des princes, ses confédérés.