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sanction de l’empereur si elle n’est également votée par l’une et l’autre Chambre, de façon que les décisions du parlement demeurent subordonnées à l’assentiment des délégués des souverains, c’est-à-dire à celui des souverains confédérés eux-mêmes. M. de Bismarck a fait mieux ; il a attribué la présidence du Bundesrath au chancelier, à l’unique détenteur du pouvoir exécutif, et en prenant lui-même possession de ce poste mis au sommet de la confédération, il a réuni entre ses mains, à ses attributions ministérielles, celles que confère le pouvoir législatif. Il fallait son esprit inventif pour imaginer une combinaison aussi ingénieuse, aussi propre à rendre vaine toute tentative du parlement de balancer la puissance souveraine ; mais c’était aussi introduire la confusion des pouvoirs dans un organisme où déjà les ministres relèvent uniquement du chef de la confédération, et réduire quant à l’essence, au principe même de la doctrine parlementaire, la représentation nationale à une sorte de fiction et la dépouiller de toute initiative effective. Tel était d’ailleurs l’objet qu’il avait en vue, et il faut convenir qu’il l’a complètement atteint ; le parlement délibère, l’empereur seul gouverne. Ce n’est pas ainsi que fonctionnait le régime représentatif à Turin ; les Chambres y étaient pourvues de tous les droits que comporte le système constitutionnel, et le comte de Cavour n’a jamais eu la pensée d’y porter atteinte. Nous n’oserions pas affirmer que tous ses successeurs ont imité son exemple et que la Chambre des députés qui siège actuellement à Rome est la sincère émanation du corps électoral au même titre que celle qui délibérait autrefois en Piémont.

Voilà comment, de part et d’autre, les deux ministres ont compris les institutions politiques dont la garde leur était confiée, et rien ne saurait montrer plus clairement qu’ils ont également conformé leur conduite à leurs sentimens personnels dans la gestion des intérêts publics. L’un est resté féodal et autoritaire, l’autre libéral et constitutionnel.

Comment ont-ils envisagé les questions d’un caractère international, comment les ont-ils conduites et résolues ? Jusqu’à la guerre de 1859, le comte de Cavour n’a fait aucun mystère de ses intentions. Sa pensée s’était révélée au Congrès de Paris et elle avait acquis, dès ce moment, la notoriété publique ; dans sa correspondance officielle, et plus nettement dans sa correspondance particulière, il l’affirmait avec plus ou moins de mesure ou d’abandon selon les circonstances. Tous ses efforts tendaient donc à amener une rupture dans les conditions voulues par la prudence que l’ardeur de son ambition n’a pas mise en défaut à cette époque. Il s’en est expliqué avec l’empereur Napoléon, et il ne lui a rien caché de ses prétentions. La guerre a donc éclaté