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qui sont la marque du génie. Se sont-ils servis des mêmes moyens pour réaliser leurs vues respectives, et que doit penser la conscience publique des procédés qu’ils ont employés pour atteindre la haute fortune à laquelle ils se sont élevés ? C’est ce qui nous reste à examiner pour déduire de ce travail les conclusions qu’il comporte. Nous ne nous dissimulons pas combien la tâche est délicate ; nous sommes soutenu, en l’abordant, par notre désir bien sincère de nous en acquitter avec une entière bonne foi.

Quand on suit attentivement ces deux puissans manieurs d’hommes et de choses le long de la carrière qu’ils ont fournie, on incline bien vite à penser qu’ils ont été conçus, — si cette expression était ici bien à sa place, — pour la mission qu’ils ont respectivement remplie. Leurs premières aspirations furent un acte de dévotion à la patrie ; sous l’influence de ce sentiment, Cavour voua un culte à la liberté, M. de Bismarck voua un culte à l’autorité ou plutôt à la force. Le premier n’a cessé de considérer la liberté comme l’unique moyen de gouvernement propre à régénérer l’Italie, soumise depuis longtemps à un régime de violente compression, et à l’élever, par une culture nouvelle, à la hauteur de ses destinées. Il en fit l’application la plus large dans tous les compartimens de l’organisme gouvernemental, au commerce, à l’industrie, aux services administratifs comme à la politique. Il avait une conviction plus élevée encore, il pensait que la liberté ne s’épanouit, qu’elle n’acquiert toute sa floraison que quand les institutions qui l’ont octroyée sont confiées à des hommes bien résolus à donner eux-mêmes l’exemple du respect qu’on lui doit. Cavour a été l’un de ces hommes ; il a dédaigné les outrages d’une presse passionnée l’accusant des plus vils méfaits ; se bornant à défendre ses actes devant le parlement, il en a toujours accepté l’examen et la discussion ; il n’a pas plus entravé l’usage de la plume que celui de la parole.

M. de Bismarck ne s’est jamais dérobé aux débats que sa politique soulevait à la Chambre de Berlin, mais il a longtemps méconnu les résolutions de cette assemblée. Pendant les quatre premières années de son ministère, il a administré la fortune de l’Etat sans y être autorisé par une loi de finances ; il ne parvint à faire voter aucun de ses budgets, et il ne pourvut pas moins, à sa guise, aux recettes et aux dépenses du trésor. « Vous violez la constitution, lui criait la majorité de la Chambre. — Nullement, répliquait-il ; il faut bien que les affaires du pays se fassent, et quand vous repoussez le budget d’un exercice prochain, je suis bien contraint de faire application de celui de l’exercice précédent. » Il croyait d’ailleurs rentrer dans la constitution en faisant rendre au roi un décret de dissolution. Le pacte constitutionnel est