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1877, arrivèrent aux portes de Constantinople ; le Sultan dut se résigner à accepter la paix qui fut conclue à San-Stefano. Le traité stipulait des avantages pour le vainqueur et des arrangemens profitables aux populations chrétiennes de l’empire ottoman. Oubliant qu’il avait obstinément décliné une semblable ouverture faite par la Russie après la campagne de Bohême, le prince de Bismarck, de concert avec l’Angleterre, exigea que cet acte, avant de prendre rang dans le droit public européen, fût soumis au contrôle d’un congrès. Le cabinet de Saint-Pétersbourg s’y résigna. Des plénipotentiaires furent convoqués à Berlin, et dans cette assemblée qu’il présida, le chancelier allemand, prêtant son appui aux négociateurs du cabinet anglais, fit prévaloir des résolutions qui mettaient en lambeaux le traité de San-Stefano ; il fit plus : il imagina une combinaison en vertu de laquelle l’Autriche était mise en possession de la Bosnie et de l’Herzégovine, deux provinces de l’empire ottoman, qui était ainsi mutilé par ceux-là mêmes qui avaient pris sa défense. L’objet de cette clause était évident ; elle tendait à mettre l’Autriche en situation d’exercer, dans le bassin du Danube, une influence prépondérante au préjudice sinon à l’exclusion de la Russie. Cette politique était assurément conforme aux vues traditionnelles de l’Angleterre en Orient ; l’était-elle également aux intérêts bien entendus des États germaniques ? Tel n’eût pas été le sentiment de M. de Bismarck dans d’autres temps, alors que son génie, dégagé de toute préoccupation présomptueuse et personnelle, jugeait les choses avec une entière liberté d’esprit. Egaré dans cette voie nouvelle, il ne s’abusa pas toutefois sur les conséquences inévitables d’une si périlleuse déviation. Obligé de pourvoir à des dangers nouveaux, il imposa à l’Autriche le traité d’assurance mutuelle qui a fondé la triple alliance par l’accession de l’Italie, son œuvre dernière, si fatale à l’Europe entière.


XV

L’esquisse, qu’on vient de lire, de la vie politique du comte de Cavour et du prince de Bismarck, si rapide et si incomplète qu’elle soit, montre, ce nous semble, qu’ils réunissaient tous deux à un ardent patriotisme des aptitudes rares dans tous les temps : un dessein bien arrêté, une confiance absolue, une fermeté inébranlable, une prévoyance lumineuse, une promptitude éclairée dans les résolutions, un courage indomptable dans l’exécution : qualités précieuses et surtout nécessaires au succès des grandes entreprises. Rien ne les a émus ni détournés de la voie qu’ils ont, dès l’origine, tracée devant eux avec des visions