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de dire qu’il s’y sentait encouragé par l’attitude prise et gardée par les puissances devant son immuable volonté de tout régler autour de lui sans s’en entendre avec elles. L’indifférence de l’Angleterre, la crédulité de la Russie, l’imprévoyance de la France, lui avaient en quelque sorte tracé, avant l’ouverture des hostilités en 1866, le chemin qu’il lui était permis de parcourir. Après la conclusion de la paix avec l’Autriche, leur commune et muette résignation lui démontra qu’il pouvait encore s’imposer à l’Europe sans provoquer un mécontentement redoutable. Esprit entreprenant et téméraire mais sagace et prévoyant, il ne se paya pas cependant de vaines apparences ; il comprit qu’on ne pouvait franchir le Mein sans rencontrer la France, sans la contraindre à subir l’unité de l’Allemagne, également funeste à son prestige et à sa sécurité. Ce résultat ne pouvait être obtenu que par une guerre nouvelle. On s’y prépara pendant quatre ans, le chancelier en s’ingéniant à trouver les moyens diplomatiques propres à la rendre inévitable au moment opportun, tandis que le général de Moltke forgeait l’arme qui devait assurer la victoire. Le souverain, de son côté, ne resta pas inactif ; secondé par son premier ministre qui faisait luire, aux yeux du prince Gortschakof, des éventualités prochaines, propices à ses désirs, propres surtout à faire rapporter les clauses du traité qui, en 1856, avait limité les forces de la Russie dans la Mer-Noire, le roi Guillaume usait, auprès de l’empereur Alexandre, de cette douce et insinuante affabilité dont il a toujours su faire un merveilleux emploi, pour en obtenir sa bienveillante neutralité, sinon son concours, au cas où il serait obligé, pour sa défense, de tirer de nouveau l’épée. On sait que l’un et l’autre n’y ont que trop bien réussi, et nous aurons bientôt à rappeler de quelle ingratitude ils ont payé l’assistance gracieuse et efficace qu’ils en ont obtenue.

Nous n’avons pas à raconter ici dans quelles circonstances naquit la guerre de 1870. Des publications récentes et M. de Bismarck lui-même ont pleinement édifié l’opinion publique à cet égard. Une candidature préparée de longue main et mise en avant d’une façon perfide et subreptice, suivie bientôt de la falsification d’un document d’Etat, stérilisèrent tous les efforts tentés pour conjurer une si effroyable calamité. Dans ce duel, pour lequel la Prusse s’était formidablement armée, la France fut vaincue après une longue et glorieuse défense. Le vainqueur usa sans mesure de son triomphe ; il nous infligea, outre les milliards, une mutilation qui saignera toujours. La France a néanmoins reconquis, grâce à son patriotisme, son rang et son influence dans le monde. Par un caprice du sort qui se joue souvent des vains calculs des hommes, M. de Bismarck n’est pas resté