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si on voulait sauver le Danemark d’un démembrement. Le langage qu’il avait tenu à Copenhague, la pression qu’il avait si rudement exercée sur la liberté d’action du cabinet danois, lui en faisaient un devoir impérieux. On résolut donc à Londres de procéder à une démonstration armée, en envoyant dans la Baltique une force suffisante pour couvrir les côtes du Danemark et menacer au besoin celles de l’Allemagne. On s’en ouvrit à Paris en proposant au gouvernement français de s’y associer. Le cabinet impérial accueillit favorablement cette communication, en faisant remarquer toutefois que la résolution des deux puissances pourrait engendrer une guerre continentale ; il fit donc demander aux ministres de la reine s’ils avaient tenu compte de cette éventualité dans leurs calculs et quelle conduite ils entendaient tenir au cas où elle se réaliserait. Les pourparlers se poursuivirent ; la France ne dissimula point qu’en un pareil conflit elle aurait à supporter l’effort de l’Allemagne entière, à employer, dans ce choc formidable, toutes ses forces, toutes ses ressources et à courir des risques inévitables ; qu’on ne pouvait exiger du pays de si grands sacrifices et l’exposer à de si graves périls sans lui laisser entrevoir des avantages qui en seraient la légitime compensation, sans lui garantir en outre le concours absolu de son allié, jusqu’à la conclusion de la paix. Rien, on en conviendra, n’était plus légitime ; mais les Anglais que les agrandissemens des autres puissances continentales n’ont jamais émus, n’ont jamais su non plus se résigner à une extension quelconque du territoire de la France ; on en avait eu récemment une nouvelle preuve lors de la cession de la Savoie et de Nice que le Piémont nous avait faite. Placée sur ce terrain, la question des Duchés cessait d’avoir, aux yeux du cabinet de Londres, l’intérêt qu’il avait semblé y attacher ; il voulait bien envoyer ses flottes au secours des Danois, mais il entendait ne prendre aucun autre engagement.

M. de Bismarck avait bien jugé les choses ; sa sagacité, toujours éveillée, l’avait bien conseillé, et quand il fut bien certain que l’événement justifierait ses prévisions, qu’il n’aurait pas à compter avec l’accord de la France et de l’Angleterre, il ne garda plus aucune mesure, ni avec l’Assemblée de Francfort ni avec le Danemark. Invoquant des prétextes qui n’avaient rien de sérieux, et entraînant avec lui l’Autriche qui s’imaginait le contenir en le suivant, il méconnut outrageusement le traité signé à Londres en 1852 et les pouvoirs comme la compétence de l’Assemblée fédérale ; il contraignit le corps d’occupation que, de son consentement et de celui du cabinet de Vienne, la Diète avait envoyé dans le Holstein, à se retirer devant une véritable armée austro-prussienne qui pénétra jusque dans le Schleswig et menaçait le