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Hongrie. M. le comte Apponyi monte à la tribune et déclare : « En dehors du châtiment, qui va de soi, nous demandons une satisfaction de nature telle que, par un acte éclatant qui influe sur l’imagination et le cœur du peuple, réparation soit faite au drapeau offensé. » Le député Pazmandy est envoyé à Agram par son groupe parlementaire pour faire une enquête ; il revient bourré de documens qui lui inspirent une allocution tragique. Il a découvert que le gouvernement du ban lui-même ne tient pas assez la main à la manifestation extérieure de l’unité d’Etat. Croirait-on que les costumes historiques que les étudians ont exhibés dans les rues d’Agram en criant : « Vive Starcevic » ont été payés, pour partie, sur les fonds publics, et qu’à l’heure actuelle, en Croatie, c’est au nom de Sa Majesté apostolique, rédigés en croate et en français, qu’on délivre les passeports ? « Nous ne souffrirons pas, messieurs, que le pays se désagrège, que la nation magyare s’effondre… Il faut montrera la Croatie que son ban n’est pas coordonné mais subordonné au gouvernement hongrois. »

M. le comte Kuhen-Hédervary a d’ailleurs une mauvaise presse. Le magyarisme est dur pour la magyarisation manquée. Le Pesti Naplo résume les réquisitoires par cette sentence, un peu usée dans le monde occidental, mais didactique encore en Transleithanie : « Dans l’ordre moral, celui-là seul est fautif qui trompe ; dans l’ordre politique, celui qui se trompe ». Or, par le fait de ce fonctionnaire abusé, la Hongrie a éprouvé double humiliation, et la moins retentissante est la plus sensible. Un drapeau brûlé, soit ; on châtiera. Mais il y a aussi une lettre de l’empereur adressée à la nation croate en remerciement de son accueil, dans laquelle c’est sous forme d’incidente, d’épithète juridique et glacée, décolorée au surplus par les teintes cordiales de l’ensemble, que le souverain fait allusion à l’attentat. A la tribune, le député Louis Kossuth le dit en propres termes : « Le plus grave n’est point qu’on ait insulté notre drapeau, mais que le roi de Hongrie ait remercié les Croates de leurs manifestations patriotiques, alors qu’une partie de ces manifestations était tournée contre nous. » L’auguste signataire de la lettre s’est en effet borné à parler de « faits délictueux ». On veut absolument savoir si et dans quelle mesure le ministre président, M. de Banffy, l’a « influencé ». M. le comte Apponyi, là-dessus, met le ministère à la question, et de son discours, élégant d’ailleurs, prononcé dans la séance du 22 octobre, se dégage cette théorie : que l’héritier du Saint-Empire et de la couronne de Saint-Etienne, en ceci moins favorisé que maint président républicain, n’a pas le droit de rendre à ses peuples un témoignage du plaisir qu’il éprouve à les visiter, sans