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REVUE LITTÉRAIRE

LA CRITIQUE ADMIRATIVE
A PROPOS D'UN LIVRE RECENT[1]

Une méthode jadis adoptée et restée longtemps en faveur consistait à orner le bas des pages des livres classiques de notes admiratives : « Belle pensée… Expression saisissante… C’est ici le dernier effort de l’éloquence… » Elle est aujourd’hui tout à fait démodée. Les livres de nos écoliers s’enflent de commentaires qui ont toute l’aridité, toute la subtilité, et toute l’incertitude de l’érudition. Ce nouveau système a aussitôt porté ses fruits. Il contribue puissamment à mettre les jeunes gens en garde contre ces textes qu’on hérisse d’explications, au lieu d’en souligner l’intérêt et d’en faire ressortir les « beautés » propres à séduire l’imagination et qui parlent au cœur. Ce qu’on devrait éveiller d’abord chez les jeunes gens, ce sont les facultés d’enthousiasme : ce langage de l’admiration est celui qu’ils sont faits pour comprendre et qui s’harmonise avec la nature de leurs sentimens. Mais nous ne nous adressons qu’à leur intelligence, nous ne développons chez eux que l’esprit critique ; après quoi, et lorsque nous en avons fait d’arides raisonneurs, incapables d’élan et rebelles à l’idéal, nous nous affligeons. Triste jeunesse, soupirons-nous, si peu jeune, sans ardeur et sans foi, qui ergote, qui chicane quand elle devrait se laisser prendre par les entrailles ! Nous avons raison. Nous oublions seulement de prendre pour nous la part de responsabilité qui nous revient. Ce n’est pas la jeunesse qui change : elle a toujours le même âge. Ce qui

  1. Chateaubriand, sa femme et ses amis, par M. G. Pailhès, 1 vol. in-8o ; chez Féret (Bordeaux).