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aujourd’hui que par des rangées de palissades, s’ouvriront et se peupleront. Les terrains, qui atteignent au centre des prix fous, se maintiennent à bon marché dans ces parages, mais nulle part au monde le sable ne coûte plus cher.

Le dimanche, dans l’après-midi, et tous les soirs de cinq à sept les élégans d’Iquique se rendent en voiture ou à cheval aux restaurans de Cavancha. Le meilleur, tenu par un de nos compatriotes, est à la fois un établissement de bains. Construit sur pilotis, il emprisonne entre ses deux ailes la molle rumeur des vagues. Quelques plantes grimpantes s’enroulent et verdoient autour de ses colonnettes. Je ne sais point sur toute la côte d’endroit plus charmant et où l’on puisse mieux goûter l’apaisement des couchers de soleil. On y trouve un abri contre l’horrible poussière qui vous enveloppe dans les rues et vous poursuit jusque dans les habitations ; et le Pacifique, presque toujours calme le long de ces rivages, rappelle par son azur l’heureuse splendeur de la Méditerranée. Il ne manque à cette promenade de Cavancha que les oliviers et les palmiers de Nice pour en faire une promenade des Anglais. Mais au lieu de vertes collines et de champs de roses, un abrupt rempart de sable s’érige derrière nous, nous enserre, et rejette violemment nos pensées sur l’agitation stérile des flots. Il semble que le reste du monde nous soit interdit. L’homme est forcé de regarder du côté de l’Océan, et ces ports sont des campemens de naufragés. Représentez-vous des populations qu’une tempête aurait disséminées et jetées sur des lambeaux de plages. Elles se sont bâti des maisons avec les débris de leurs vaisseaux, et, au pied de la montagne, elles attendent qu’un navire passe ou qu’une lame, plus forte que les autres, les balaie dans l’abîme. L’impression qu’on est à la merci d’un caprice de la mer, vous la ressentez à chaque pas, et l’histoire en confirme la justesse. On a vu jadis, de mémoire d’homme, après un tremblement de terre, l’Océan se retirer comme une bête qui prend son élan. Il refluait durant des heures et des heures vers le fond du ciel. Terrifiés par ce retrait des vagues et par l’immense grève asséchée, les habitans se sauvaient, gravissaient en déroute le flanc de la montagne. Malheur aux retardataires ! Une lame, un prodigieux mascaret, revenait au galop, et, sans s’arrêter à ses anciennes frontières, engloutissait la ville, déferlait sur la crête de la sierra, lançait dans le sable du désert des débris de barques et des toits de maisons. Les gens d’Arica se souviennent même d’un navire qui resta presque intact, à plus d’un mille de la côte, échoué au milieu des collines. L’Océan, qui occupait autrefois ces rivages,