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instant sur moi la sympathie que leur inspire le nom français, et notre excellent compatriote M. Charles Vattier, directeur de la Compagnie de Huanchaca, m’ont facilité ce voyage et m’ont misa même de tout voir et de recueillir les informations les plus précises. Je leur en adresse ici mes sincères remerciemens. J’ai donc visité Iquique et ses alentours, Huanchaca et ses mines.


I

Iquique comptait en 1820 cinquante habitans ; en 1862, presque trois mille ; dix ans plus tard, six mille ; environ dix mille en 1879, au moment où le Chili s’en empara ; aujourd’hui vingt-cinq mille. Un voyageur, qui la visita avant la guerre du Pacifique, en garda le souvenir d’un bourg misérable dont les maisons et les trottoirs étaient bâtis avec de vieilles caisses de vins de Bordeaux. Les rues ou plutôt les ruelles en étaient étroites, et le tout formait un hideux pâté de baraquemens sales. Un jour le feu prit dans une échoppe et dévora toute la ville. Jamais incendie n’éclata plus à propos. La paresse routinière des Américains du Sud aurait toujours reculé devant une démolition complète, dont la nécessité s’imposait. Quand il ne resta plus de l’ancienne Iquique que des décombres fumans, on fut obligé de la reconstruire, et on en fit la capitale du salpêtre, la seule ville qui, sur ces côtes, ressemble à une ville. Ce n’est point qu’elle diffère beaucoup de Coquimbo, de Taltal ou d’Antofogasta, mais ses rues plus spacieuses atteignent même la largeur des boulevards de Paris, si bien que l’incendie ne peut plus se communiquer d’un vis-à-vis à l’autre. Ses habitations, presque toutes en bois, affectent dans les beaux quartiers des prétentions à la coquetterie et au pittoresque espagnol. Leurs couleurs fraîches flattent les yeux ; leurs balcons-vérandas et leurs petites colonnades leur donnent un air de chalets ou de temples d’opéra-comique.

La grève sur laquelle on a fondé la ville s’avance et s’arrondit assez profondément dans la mer, et les grandes rues qui partent du port coupent la presqu’île et aboutissent à l’Océan. Aussitôt débarqué, vous traversez d’abord la douane, une sorte de caravansérail qui n’a jamais été balayé et dont les fonctionnaires sont aussi dégoûtans que les murailles. Vous passez devant un vieil édifice en torchis, dont le seuil, qui se tasse, est gardé par un soldat. C’est l’Intendance, la Préfecture. Toutes les administrations y logent. Ce bâtiment me parait grand comme la généalogie des Rougon-Macquart. Il abrita plus de coquins qu’un romancier naturaliste n’en a jamais rêvé. On y pratiqua la traite des consciences et il faudrait y creuser de doubles caves pour