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légitime de la connaissance que dans l’intelligence, elle n’avait pas précisément nié qu’il y en eût d’autres, mais elle les avait négligées. C’est ce que l’on se gardera désormais de faire, et le siècle s’achèvera peut-être, puisque aussi bien nous sommes en 1896, mais il ne s’écoulera pas longtemps avant qu’on ait rendu, parmi les fondemens de la croyance, leur place naturelle au sentiment et à la volonté. Que voulons-nous dire, en effet, quand nous disons que nous « croyons » une chose ? Que nous n’en avons pas une certitude entière ? Oui, peut-être, mais bien plutôt que nous ne pouvons pas la « démontrer ». Par exemple, nous savons que deux et deux font quatre, ou que la terre tourne autour du soleil ; nous croyons que la vie n’a pas son objet en elle-même, et qu’il ne saurait exister de morale sans obligation. En sommes-nous cependant moins sûrs ? Tout au contraire, pourrait-on dire ! et, à ce propos, qui donc a fait observer qu’autant de persécutions les hommes ont courageusement subies pour ce qu’ils croyaient, aussi peu en ont-ils supportées pour ce qu’ils savaient ? Aucun « martyr de la science » n’a aimé son supplice : combien de « martyrs de la religion » ont provoqué le leur ! Et, dans l’usage quotidien, dans l’usage même familier de la langue, regardons-y de près, que voulons-nous dire quand nous disons que nous croyons une chose ? « Il a l’air de bien se porter, mais je le crois malade ; » quel est le vrai sens de cette phrase ? ou encore de celle-ci : « Le baromètre monte, mais je crois qu’il va pleuvoir » ? sinon qu’aux apparences rationnelles, et aux pronostics même de la science, nous opposons une autre certitude, plus intérieure, dont nous ne pouvons pas déduire les raisons, mais à laquelle nous n’en accordons pas pour cela moins de confiance ? Le livre de M. Balfour n’aura pas contribué médiocrement à rétablir dans ses droits cette autre certitude. Et c’est là, non ailleurs, qu’il faut voir l’origine de ce que l’on appelle — d’un nom qui lui seul a déjà quelque chose de déloyal — « la réaction contre la science », là, dans le besoin que nous avons de cette autre certitude, et dans la conviction de jour en jour croissante que la connaissance intellectuelle n’est qu’une forme ou une « espèce » de la croyance, mais non pas la seule, ni la plus active, ni la plus féconde.

Et peut-être enfin ce livre encouragera-t-il quelques lecteurs dans cette opinion ou dans cette idée, très répandue, mais qui n’ose pas se manifester assez ouvertement, qu’il y a plusieurs chemins qui mènent à la croyance, et par conséquent à la religion. On peut croire, — comme ont cru jadis Bossuet, Bourdaloue, Pascal peut-être, — pour des raisons en quelque sorte purement