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revenir sur ce point, je demanderai ce que voulait dire l’illustre auteur de la Mécanique céleste et de l’Exposition du système du Monde quand, interrogé sur la place qu’il réservait à Dieu dans ses spéculations, il répondait « qu’il n’avait pas eu besoin de cette hypothèse ? » Est-ce que par hasard il ne s’entendait pas lui-même ? Je connais aujourd’hui des « savans » qui ne regarderaient pas à lui faire cette injure. Nous, cependant, qui croyons qu’il s’entendait, et qui l’entendons, nous affirmons qu’il voulait dire que le système du monde s’explique tout entier par le mécanisme des « causes actuelles ». Et plus près de nous encore, que voulait dire le non moins illustre auteur de la Chimie organique fondée sur la synthèse, quand il écrivait dans la préface d’un de ses recueils « qu’il n’y a plus de mystères ? » On pourrait le lui demander à lui-même ! Mais s’il ne voulait pas dire la même chose que Laplace ; et, du titre ou du droit que lui donnait son autorité de « savant », s’il ne voulait pas dire qu’il n’y a rien d’inexplicable à l’intelligence humaine, d’inaccessible à la méthode, d’irréductible à quelque loi connue ou de la forme de celles que nous connaissons, alors, c’est qu’il ne voulait rien dire ; et le moyen de le supposer ? Convenons-en donc franchement. Encore une fois laissons décote, pour le moment, la question religieuse et morale. Mais il n’est pas permis de nier que la science se soit donnée comme une interprétation de l’univers. Le titre seul du Cosmos de Humboldt suffirait pour en témoigner. Et aussi bien, si ce n’était là son objet final, que serait-ce donc que la science ? Une collection de faits, plus utile, peut-être, mais non pas plus intéressante ni plus instructive qu’une collection de timbres-poste, ou de coquillages ? Son plus cruel ennemi n’oserait lui souhaiter ce malheur !

C’est précisément cette interprétation de l’univers que M. Balfour, dans le second livre de ses Bases de la Croyance, a soumise à la critique la plus subtile, mais aussi la plus décisive et la plus neuve que je sache. Il ne s’est pas contenté d’en montrer la « relativité ». C’eût été là refaire la Critique de la raison pure ; et tel n’était pas son dessein. Qui ne sait aujourd’hui que la science, réduite à ses seules ressources, je veux dire ne s’éclairant que de ses propres principes, et n’opérant qu’avec ses méthodes, ne peut nous garantir ni la réalité de l’existence du monde extérieur, ni même seulement qu’il existe en dehors de nous quoi que ce soit qui réponde à nos sensations : aucun intelligible dont nous puissions affirmer qu’il est, je ne dis pas la cause ou la raison, mais la contre-partie du sensible ? En revanche, et supposé qu’il existe quelque chose, on nous affirme, et on nous