sert point à calmer l’ardeur des seules assemblées provinciales.
Dans le fond, cette annexion à la Croatie, en principe juste et désirable, n’est pas considérée comme opportune par tous les patriotes dalmates. Ceux qui ont, en politique, la notion de l’heure, sentent qu’un pas aussi hardi vers le fédéralisme ne peut se faire que sur les débris de la constitution actuelle. Les Magyars s’y opposeront de tous leurs moyens : quelque convoitise qu’excite en eux le rattachement du littoral à la Transleithanie, — ils se sont découvert, depuis l’occupation de Fiume, une vocation impérieuse de peuple maritime, — ils ne se soucient point d’amener sur les bancs de la Diète d’Agram un renfort considérable à l’opposition. D’un autre côté, la perspective d’attirer la magyarisation chez soi, avec toutes ses conséquences politiques et économiques, n’est pas pour rassurer, en Dalmatie, l’élément circonspect, qui reconnaît n’avoir guère à reprocher au régime cisleithan qu’un peu de morgue et de somnolence administratives. Sans doute le jour où la parole sera aux nationalités, dans l’empire austro-hongrois, les modérés et Bianchini tomberont d’accord sur les frontières de l’Etat « croate ». Seulement celui-ci promène le grattoir sur la carte constitutionnelle, ceux-là attendent paisiblement qu’elle soit usée. C’est ici comme partout le vieux conflit du radicalisme et de l’opportunisme.
Il vient précisément d’éclater à l’occasion du renouvellement de la Diète, au cours de l’été de 1895. Pour la première fois, depuis douze ans, on a vu la fraction modérée du parti croate, sous l’impulsion de Klaic, déclarer la guerre aux radicaux et accepter contre eux le concours d’adversaires jadis communs. Dans les campagnes de Zara, elle a fait sans scrupule alliance avec les autonomes, et dans celles de Sebenico, avec les Serbes. Il semble que tout le monde soit tombé d’accord pour écarter le groupe Bianchini, tout au moins pour le ramener au-dessous du quorum de voix nécessaire, d’après le règlement de la Diète, au dépôt des propositions. Ce consortium, approuvé du gouvernement local, qui a mis largement à son service la pression administrative, n’est pas parvenu à empêcher l’élection de Bianchini, et, par l’inutilité de ses efforts, lui a même préparé une sorte d’apothéose. Cependant le parti personnel du tribun se trouve réduit à trois membres, son chef compris, autant dire à l’impuissance. Cette réaction, que jugent sévèrement certains patriotes, à cause des compromissions qu’elle a souffertes, et qui, sans aucun doute, lui seront reprochées dans l’avenir, n’a pas été provoquée seulement par les allures incommodes de Bianchini. On y voit poindre l’esprit de l’Occident, une nuance de fatigue