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aujourd’hui à 192 francs. « Maître Jean Poquelin le jeune », un frère de Molière, se montrait plus exigeant en 1655 ; il prenait 326 francs. Mais de simples passementiers dressaient en ce temps-là des élèves pour 124 francs, toujours en monnaie de nos jours.

Pour faire un bon boulanger il suffit maintenant de seize mois et d’une somme de 136 francs ; leur apprentissage variait autrefois de six mois à deux ans ; dans le premier cas le néophyte devait verser 225 francs, tandis que dans le second il n’en donnait que 64. Le futur boucher reste aujourd’hui dix-sept mois chez son maître et lui paie 182 francs ; au XVIIe siècle il restait parfois trois ans, mais il ne payait rien. Il semble oiseux de multiplier les exemples ; on voit clairement l’économie de ces conventions : l’apprenti pauvre s’acquittait en travail au lieu de s’acquitter en espèces. Mais ni la durée ni le coût de l’apprentissage ne subissaient vraiment le joug des lois restrictives de la liberté.

Les salaires des ouvriers de métier ne le subissaient pas davantage. Et plus on allait pourtant, plus on restreignait, plus on prohibait, plus on tyrannisait ! Outre les privilèges des corporations, il faut compter avec la toute-puissance des conseils de ville. Le travail est un domaine dans lequel toutes les autorités possibles ? ont chez elles et ont droit de commander ; le seul qui ne soit pas chez lui c’est le travailleur isolé, celui-là n’a que le droit d’obéir. Pour exercer le commerce de la boucherie, il faut, en bien des localités, passer avec les jurades un bail minutieux, où, non seulement les prix de la livre de bœuf, de mouton et de porc, mais aussi la quantité de gigots à laquelle chaque habitant peut prétendre, la façon dont on coupera et débitera la viande, sont soigneusement spécifiés. Et quand les pouvoirs publics n’avaient pas légiféré sur la matière, les confréries s’en étaient depuis longtemps emparées. On connaît leurs disputes mémorables les unes avec les autres, les homériques procès auxquels elles se plaisent, les formalités graves qui président à la cooptation des nouveaux membres. A voir les cérémonies, les sermens et les fonctions laïques qu’il faut pour affiliera Paris un cordonnier, aspirant à la maîtrise, on dirait qu’il s’agit de graduer un docteur ou de consacrer un prêtre !

Dans le sein de chaque communauté quelles contentions, s’il s’agit des dignités, entre les ambitieux « jurés chapeliers », les « généraux des œuvres de maçonnerie » ou les « gardes du métier des orfèvres », qui veulent rentrer dans la jurande plus souvent qu’à leur tour, et, s’il s’agit des marchandises, quels nids à chicane que ces vétilleux articles qui forment le codex de chaque industrie, la nature des matières, les détails et les dessous de