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L’ostracisme contre les nouveaux venus ou, si l’on veut, l’exclusivisme jaloux qui fait le fond des règlemens corporatifs, et qui n’a pu influer ni sur le prix des objets fabriqués ni sur le taux des salaires, n’a pas eu davantage pour effet de constituer, dans le sein de chaque industrie, une aristocratie de maîtres et d’interdire, à la plèbe des salariés, l’accès du travail indépendant. Une statistique de la population parisienne, faite en 1637 par les commissaires au Châtelet, — commissaires de police actuels, — nous apprend que les 112 corps de métiers se composaient de 13 500 maîtres, contre 39 000 compagnons âgés de plus de vingt ans el de 5 600 apprentis ; soit 3 ouvriers adultes seulement pour 1 patron. Il y a proportionnellement aujourd’hui dans la capitale, sous le régime de la liberté, — même dans la petite industrie, — deux ou trois fois moins de « maîtres » qu’il n’y en avait voici deux cent soixante ans. Une profession présentement encombrée est celle des boulangers ; j’ai cité, dans un article précédent, les chiffres excessifs qu’ils atteignent en certaines localités. Or cet excès jadis était bien plus grand. Pour 2 400 000 âmes le Paris de 1896 contient 1 522 patrons boulangers ; pour 500 000 âmes, le Paris de 1721 en contenait 757 ; ce qui revient à dire que, pour 10 000 habitans, il se trouvait 15 boulangers sous le Régent, et qu’il s’en trouve un peu moins de 7 sous la troisième république.

Mêmes différences en province : la ville de Sens, qui possède aujourd’hui deux fois plus d’habitans qu’il y a cent trente ans, renfermait en 1767, dans la plupart des métiers, beaucoup plus de patrons qu’en 1896 ; 25 cordonniers naguère au lieu de 13 maintenant, 11 marchands de draps au lieu de 8, 24 menuisiers au lieu de 9, et ainsi de suite pour les autres corps d’état.

La ville de Périgueux, dont la population est en 1896 de 29 000 habitans et qui n’en possédait pas plus de 6 000 en 1801, n’en avait peut-être que 4 000 en 1674. Toutefois, il y a deux cent vingt ans, elle comptait 30 boulangers et présentement elle en compte 36 ; elle avait 24 cordonniers et n’en a plus que 10 ; 18 tailleurs jadis, aujourd’hui 15 ; 14 chapeliers, dont il ne reste que la moitié ; elle contenait 4 arquebusiers et 9 fourbisseurs contre 5 armuriers actuels, etc., etc. Quelques branches de commerce ou d’industrie sont de nos jours plus remplies ; il existe un plus grand nombre d’épiciers, d’imprimeurs, d’horlogers ; mais la consommation des montres, des journaux et des « denrées coloniales », n’étant pas comparable à ce qu’elle était il y a deux siècles, cette augmentation ne peut tirer à conséquence. Certaines professions se ressentent de la révolution causée par les manufactures. Le Périgueux de Louis XIV avait 12 drapiers-merciers et 15 tisserands ;