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de dépenses, les journaliers n’en ont pas moins vu leur budget grossi de plus des quatre cinquièmes : de 410 francs (pour 250 journées de travail à 1 fr. 64) à 750 francs (pour 300 journées à 2 fr. 50). C’est un gain positif de 340 francs, soit 82 pour 100 depuis la Révolution.

On objectera que, cette amélioration de son sort, le journalier la doit en partie à ce qu’il travaille cinquante jours de plus par année, qu’il a de ce chef une vie plus dure que sous l’ancien régime ; mais on doit considérer que les loisirs n’ont de prix, pour la classe laborieuse, qu’à la condition de ne pas diminuer son bien-être au-delà de certaines limites. Le paysan de 1790, auquel son salaire ne procurait qu’une existence très misérable, aurait sûrement accepté avec joie cinquante jours de labeur supplémentaire. Si le loisir volontaire est une jouissance, le chômage forcé est une souffrance. On en arriverait autrement à proférer cette absurdité : que les ouvriers les plus heureux sont ceux qui ont le moins d’ouvrage.


IV

Tout ce qui vient d’être dit du salaire des hommes, dans les deux siècles qui ont précédé le nôtre, s’applique à celui des femmes. Sous Henri IV la paie quotidienne des journalières non nourries, qui s’élevait à 1 fr. 35, égalait comme aujourd’hui les trois cinquièmes de celle des manœuvres. Elle descendit sous Mazarin et Colbert à 1 fr. 10, représentant 68 pour 100 de la rétribution masculine. Dans les dernières années de Louis XIV elle s’abaissa encore, remonta sous Fleury, et se trouvait de 1 franc par jour en 1789. Si l’on en croit les chiffres de l’enquête faite par les municipalités en l’an II de la République, le salaire des femmes employées aux travaux des champs eût oscillé entre un maximum de 1 fr. 15 et un minimum de 68 centimes. Lorsqu’elles étaient nourries, elles ne recevaient en numéraire que 54 centimes et les moins fortunées n’avaient pas plus de 28 centimes par jour.

Les gages des servantes nous font voir aussi que le salaire du sexe faible était à meilleur marché sous Louis XVI que sous Henri IV. Après avoir été de 126 francs en 1601-1625, après s’être abaissée à 90 francs sous Colbert, la moyenne de ces gages, qui s’était relevée à 105 francs, retombe à 84 francs à la fin de l’ancien régime. Un humoriste, contemporain de Louis XIII, estime qu’une servante de bourgeois, une « bonne à tout faire » peu scrupuleuse, comme il les accuse de l’être toutes, peut atteindre avec les profits illicites, — si elle s’y prend bien pour « ferrer la