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inférieurs à ceux de l’Angleterre, étaient supérieurs à ceux de l’Italie du Nord où la terre avait cependant beaucoup de valeur : l’ouvrier rural n’avait que 1 fr. 22 à Turin, pendant la belle saison ; il se louait à Milan pour 0 fr. 70 en hiver.

Un général français écrivait de Pignerol à Richelieu : « On nous débauche les paysans que nous levons pour les faire travailler à la campagne, si dépeuplée qu’on donne à un journalier un tiers plus qu’il n’en coûte au régiment. » Il arriva en effet plus d’une fois, au XVIIIe siècle comme au moyen âge, que la diminution du nombre des bras fut profitable aux individus valides qui restaient. Triste profit né de malheurs excessifs. Au XVIIIe siècle la paix et l’extension de la population amenèrent un autre genre de malaise : celui des pays qui ont plus de monde qu’ils n’en peuvent occuper, celui de l’Irlande actuelle. Il y a cent ans, les trois quarts des habitans des Hautes-Alpes s’expatriaient pendant six à sept mois d’hiver pour gagner leur vie ailleurs ou mendier. Les gens de Limousin et d’Auvergne allaient, dit l’intendant, servir de manœuvres en Espagne afin d’avoir de quoi faire subsister leur famille. En pays vignoble, chaque année, « les vignerons sont en partie réduits à l’aumône durant la saison morte. »

Si l’on parcourt les enquêtes faites par l’autorité civile ou ecclésiastique, les rapports des intendans de provinces sous Louis XVI, les cahiers de doléances des paroisses en 1789, les renseignemens sont lamentables, la misère de la France semble inouïe. Pour peu que l’on soit familier avec les documens de l’ancien régime, en ce genre, on sait qu’ils sont fort pessimistes. Ceux à qui le gouvernement demandait des statistiques, craignaient toujours qu’il ne s’agît d’une imposition nouvelle à établir, et, dans le doute, ils jugeaient prudent de pousser au noir et de crier famine par avance, pour réclamer après plus efficacement. Il ne faut donc pas prendre trop au pied de la lettre les appréciations qui ont été publiées par divers auteurs. Seulement il est évident que le travail est, à la fin du XVIIIe siècle, plus offert que demandé ; et cela est évident par le bas prix de la journée du manœuvre.

Cet état de choses subsista durant la Révolution ; nous pourrions même observer, si le XIXe siècle ne sortait du cadre de cet article, que, sous la restauration et au commencement du règne de Louis-Philippe, les salaires, eu égard au prix de la vie, n’étaient pas sensiblement plus avantageux qu’en 1789. L’augmentation est récente et date du développement de l’industrie. En 1838, dans l’Indre, on ne payait les hommes que 85 centimes en hiver, 1 franc en été et 1 fr. 25 pendant la moisson. De 1820 à 1830 les journaliers gagnaient 75 centimes en hiver, 1 fr. 50 en été ; et