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Il est certain que la viande avait sensiblement renchéri dans la seconde moitié du XVIIIe siècle ; seulement il est douteux que ce fût à cause de la diminution du nombre des bestiaux. Ce pouvait être aussi bien à cause de l’augmentation du nombre des hommes. En tout cas les bœufs et les moutons livrés à l’alimentation sous Louis XVI étaient beaucoup plus gras que ceux du temps de Louis XIV ou de Henri IV, tandis qu’entre le poids des moutons ou des bœufs du XVIIe siècle et celui des mêmes bêtes au moyen âge, il n’y a pas grande différence. La preuve de cette assertion nous est fournie par le rapport entre le poids vif de l’animal, aux diverses périodes qui font l’objet de cette étude, et le prix du kilogramme de viande au détail. Ceux à qui le défrichement des pâtures « avait enlevé beaucoup de subsistances » n’étaient pas, comme le pense le rédacteur du mémoire de 1788, les animaux de ferme, mais bien la masse des demi-prolétaires ruraux.


III

En même temps que disparaissaient les subventions sociales, qui jusqu’alors avaient formé un appoint des petits budgets de la campagne, le salaire, qui en faisait le fonds principal, montrait, dans les derniers vingt-cinq ans de la monarchie, une tendance marquée à décroître, — le salaire réel s’entend, — puisque les dépenses de l’ouvrier augmentaient tandis que ses recettes demeuraient stationnaires.

Sous Henri IV et au début du règne de Louis XIII, la paye quotidienne du journalier français avait été supérieure à celle de la fin du XVIe siècle : 2 fr. 28 en 1601-1625 au lieu de 1 fr. 95 en 1576-1600. En Angleterre elle avait été en moyenne de 2 fr. 40 de 1583 à 1622. La condition du salarié empira sous Richelieu et Mazarin : de 2 fr. 28 la journée baissa à 1 fr. 85[1]. Dans les 25 années suivantes (1651-1675) elle tomba à 1 fr. 60 ; soit, pour 250 jours de travail 400 francs par an, tandis que le même labeur représentait, en 1610, 570 francs. Pendant le dernier quart du XVIIe siècle le manœuvre fut un peu plus à son aise, par suite de l’abaissement des prix du grain ; le contraire arriva aux propriétaires fonciers ; la baisse des terres à cette époque ayant été la conséquence de la baisse des denrées. De 3 fr. 60 par jour sous Charles VIII

  1. Ces chiffres, ainsi que tous ceux qui vont suivre, sont traduits en monnaie actuelle en tenant compte de la valeur intrinsèque de la monnaie ancienne et du pouvoir relatif de l’argent, d’après le prix de la vie : ainsi, en 1610, 6 sous 6 deniers valent 76 centimes et 76 centimes de 1610 correspondent, multipliés par 3, à 2 fr. 28 centimes.