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à celle qu’il convient faire pour les blés et les vins ». Ce « peu de dépense » s’explique par le système d’autrefois, donnant à chacun l’illusion de croire qu’il nourrissait ses animaux pour rien, mais coûtant en réalité au corps social, par le gaspillage de terre qu’il occasionnait, beaucoup plus que les prairies particulières. Sous Henri IV, la « banalité » des pâturages demeure un dogme agricole, auquel nul n’oserait toucher, pas même le souverain, sans provoquer d’amères récriminations. L’État ayant concédé, en 1613, à la comtesse de Soissons, les palus et marais des bailliages de Caen et Cotentin, la population, gravement lésée dans ce qu’elle estimait être son droit, formule nettement, dans ses réclamations réitérées, la théorie de ce droit telle qu’elle le conçoit : « Il est contre toute raison, Sire, voire contre le droit des gens de dépouiller un million de pauvres familles de telles possessions… ; la nature même a fait et créé palus et marais pour servir en commun aux habitans du pays. »

Vis-à-vis des particuliers qui seraient tentés de restreindre l’étendue des pâturages, ce n’est plus par voie de pétition, mais bien à force de sentences judiciaires que les paysans savent se protéger. Un arrêt du parlement de Toulouse maintient « les manans de Villeneuve-les-Maguelonne au droit de faire paître leur bétail dans toute la juridiction. » Défense à l’évêque de Montpellier, seigneur du lieu, d’inféoder les terrains dont il s’agit, lors même qu’ils pourraient être mis en culture. Ailleurs, les défrichemens sont-ils déjà opérés, le tribunal décide « qu’il sera vérifié par experts si, en dehors des landes nouvellement converties en prairies, les landes conservées suffisent à la dépaissance des bestiaux ». Les taxes énormes qu’elles avaient dû payer pendant la guerre de Trente ans avaient forcé beaucoup de paroisses à vendre leurs droits d’usage. Un édit postérieur les autorisa à rentrer, par une sorte d’expropriation, dans tous ceux qu’elles avaient aliénés depuis 1620 ; un très petit nombre usa de cette faculté.

Le passage de l’ancien mode d’exploitation à un mode nouveau, qui devait être si fructueux dans l’avenir, amena une crise et eut tout d’abord, pour quelques pays, des conséquences désastreuses. En Provence, sous le ministère de Richelieu, on voyait une masse de paroisses vides, parce que la privation des usages avait forcé les cultivateurs à « déguerpir ». Ce n’est pas que les territoires banaux aient partout disparu ; l’intendant Basville, en 1698, cite une prairie communale qui avait cinq lieues de long sur une demi-lieue de large. Dans des pâtures semblables vaguaient des régimens de bêtes, non sans contestation fréquente entre leurs