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Les funestes charmes de l’Angleterre n’y furent, comme on a pu le voir, pour rien. Sans doute le Régent était très justement préoccupé de ne point donner ombrage à l’Angleterre et de ne point porter atteinte aux stipulations toutes récentes de la Haye, stipulations qui au reste avaient été communiquées au Tsar. Il avait même dans le projet d’alliance en délibération fait insérer cette clause « que le présent traité ne pourrait porter aucun préjudice au traité de la Haye ». Mais cette réserve toute naturelle avait été acceptée par la Russie et la Prusse qui réservaient également leur alliances extérieures.

Il n’est pas davantage exact que la France ait témoigné un fol mépris de la Russie. La négociation avait été au contraire poussée aussi loin que possible et n’avait échoué que sur une difficulté sérieuse. La vérité c’est que les temps n’étaient pas mûrs pour une alliance aussi étroite que l’aurait souhaitée Pierre le Grand. L’état de l’Europe était trop incertain, les communications entre les deux pays encore trop difficiles. Mais les efforts tentés avec beaucoup de bonne foi de part et d’autre ne furent pas perdus. La négociation fut reprise quelques mois après, non pas il est vrai à Paris, mais en Hollande, et le dernier projet de traité, hâtivement rédigé par le maréchal d’Huxelles, devint, le 19 août 1717, le traité d’Amsterdam, premier instrument diplomatique au bas duquel la France et la Russie aient apposé leur signature.

Le séjour de Pierre le Grand à Paris eut un résultat encore plus décisif. Si la France, pour reprendre l’expression de Saint-Simon, demeura charmée de lui, il demeura aussi charmé de la France. Il partit enchanté de la réception qui lui avait été faite, du respect et de la sympathie dont il s’était senti environné. A partir de ce jour, les deux pays cessèrent d’être étrangers l’un à l’autre. Non seulement des relations diplomatiques régulières furent établies par l’envoi de ministres caractérisés, comme on disait alors, mais les Russes commencèrent avenir en grand nombre à Paris ; les Français apprirent le chemin de Saint-Pétersbourg ; et de ce voyage justement célèbre datent, entre les deux peuples, ces sentimens d’instinctive amitié, qui, traversés parfois par les erreurs de la politique, méconnus par les rêves de l’ambition, n’en renaissent pas moins, toutes les fois que les circonstances deviennent favorables, avec l’indestructible vitalité des sympathies naturelles et des intérêts permanens.


HAUSSONVILLE.