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à force d’obséquiosité envers Louis XIV, avait réussi à se faire pardonner par lui d’être le seul fils légitime de Mme de Montespan. Le Tsar était tendrement attaché à la Tsarine Catherine, sa seconde femme. Un instant, son séjour à Paris se prolongeant, il avait pensé à la faire venir. Mais la question de l’incognito qu’il tenait à garder lui avait fait renoncer à ce dessein, et il lui avait mandé de l’attendre aux eaux de Spa. D’Antin savait cela, et, voulant se rendre agréable au Tsar, il avait trouvé moyen de se procurer un portrait de la Tsarine. La première chose que Pierre le Grand aperçut en entrant dans la salle à manger fut ce portrait, au-dessous duquel d’Antin avait fait graver quelques vers. « Cette galanterie lui plut si fort, dit Duclos qu’il s’écria qu’il n’y avait que les Français qui en fussent capables. » Malgré toutes nos recherches, nous n’avons pu trouver les vers composés parle duc d’Antin pour la Tsarine.

Il y eut cependant une femme que Pierre le Grand témoigna la curiosité de voir bien qu’elle eût quatre-vingt-deux ans : ce fut Mme de Maintenon. On trouve partout racontée, d’après Saint-Simon, la visite qu’il lui rendit à Saint-Cyr. Ce récit n’est point tout à fait exact. Il n’est pas vrai que, sans la saluer, il se soit borné à écarter les rideaux de son lit, et qu’après l’avoir regardée il se soit éloigné sans mot dire. Apparemment Mme de Maintenon devait savoir comment les choses s’étaient passées. Voici comment elle raconte elle-même cette visite[1] : « Le Czar est arrivé à sept heures du soir. Il s’est assis au pied de mon lit. Il m’a demandé si j’étais malade. J’ai répondu que oui. Il m’a fait demander ce que c’était que mon mal. J’ai répondu : Une grande vieillesse. Il ne savait que me dire, et son truchement ne paraissait pas m’entendre ; sa visite a été fort courte. Il est encore dans la maison, mais je ne sais où. Il a fait ouvrir le pied de mon lit pour me voir. Vous croyez bien qu’il n’en aura été guère satisfait. »

Pierre le Grand visita Saint-Cyr en grand détail. « Il se fit montrer, rapporte le Mercure de France, les cinq classes et toutes les demoiselles, chacune à leur place. » Pendant ce temps les seigneurs de sa suite, qu’il avait laissés à Versailles, y avaient amené d’autres demoiselles qu’ils firent coucher précisément dans l’appartement de Mme de Maintenon, ce temple de la pruderie, dit Saint-Simon. Blouin, l’ancien valet de chambre de Louis XIV, qui avait autrefois remplacé l’officieux Bon temps, et qui était demeuré gouverneur de Versailles, s’en montrait fort scandalisé.

  1. Lettres de Mme de Maintenon, t. VII, 11 juin 1717. Cette publication est celle de La Beaumelle, toujours, il faut l’avouer, un peu suspecte.